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Robert Badinter, la justice en guise d’étendard


Disparu il y a un an, celui par qui est venue l’abolition de la peine de mort en France est le sujet d’un roman graphique et d’un recueil d’articles et d’entretiens. Un double hommage à un homme dont la devise aurait pu être «Justice toujours».

Philosophe de réputation mondiale, Michel Foucault était catégorique : «Robert Badinter a été le plus grand ministre de la Justice que la France a eu». Et dans l’édition rendant compte de sa mort le 9 février 2024, le quotidien Le Monde lui consacrait un cahier spécial, titrant : «Robert Badinter. Une grande conscience française» et «Un « juste » pour la postérité». Pour l’essentiel des Français, surtout et avant tout, il est le ministre de la Justice et garde des sceaux (1981-1986) qui a porté la loi pour l’abolition de la peine de mort, adoptée le 9 octobre 1981.

Près de quarante-cinq ans après celle-ci et un an après la disparition de celui qui se présentait souvent comme un «orphelin de la République», deux livres paraissent. Le premier, Robert Badinter. Au nom de la justice, est un roman graphique, avec les mots de Jean-Yves Le Naour et les dessins de Marko. Le second, Justice toujours, est un recueil d’articles et d’entretiens parus dans l’hebdomadaire Le 1, célébrant, comme le dit son directeur Éric Fottorino, un «avocat hors pair par son verbe et sa force de conviction qui était devenu, par son intégrité, une conscience, une boussole, une référence».

Dans Robert Badinter. Au nom de la justice, Jean-Yves Le Naour, historien spécialiste du XXe siècle (et plus spécifiquement des Première et Seconde Guerres mondiales), et Marko, dessinateur de BD passé par le dessin animé, racontent une vie de justice en cinq chapitres : «L’orphelin de la République», «Le temps de l’insouciance», «L’épreuve», «Contre la peine de mort»  et «Au service de la République et de l’humanité». « Je suis né à Paris, le 30 mars 1928. Je suis le premier de la famille à naître de parents français. Ils venaient à peine d’être naturalisés, deux mois plus tôt», peut-on lire.

Et d’ajouter : «Je suis né sous les auspices du commissaire du XVIe arrondissement qui, telle une bonne fée, a conditionné ma vie : servir la République». Grandi dans une famille juive venue de Bessarabie (aujourd’hui la Moldavie) aux confins de l’Empire russe, il admire son père Simon pour qui «la France, la République, l’égalité, tout cela était synonyme… Je crois que cela l’est toujours pour moi». Adolescent, en février 1943, il assiste alors l’arrestation de son père. Sa mère : «Robert, ton père est parti à l’UGIF (Union générale des israélites de France) ce matin et n’est pas revenu. Il s’est passé quelque chose, j’en suis sûre».

Le père arrêté, la mère et ses deux fils déménagent près de Chambéry (Savoie). «Ce village-là, pour moi, c’est la France, la vraie. Officiellement, nous étions des réfugiés de Saint-Nazaire. Mais tous les habitants savaient que c’était faux. Il y eut comme une complicité silencieuse pour nous protéger.» Retour à Paris, il se rend chaque jour à l’hôtel Lutetia, où étaient hébergés les déportés de retour des camps. «Un jour, en regardant les actualités, j’ai compris que papa ne reviendrait jamais… Ce jour-là, je suis devenu orphelin.»

Des années plus tard, Robert Badinter est avocat. Et se lance dans le combat de sa vie, initié au siècle précédent par Victor Hugo : l’abolition de la peine de mort. Il y aura des procès en France durant les années 1970 dans lesquels il fut éblouissant lors de ses plaidoiries, martelant encore et encore : «La justice qui tue n’est pas la justice». Élu président de la République le 10 mai 1981, François Mitterrand le nomme ministre de la Justice, garde des sceaux. Quelques mois plus tard, l’Assemblée nationale adopte la «loi Badinter» et la France devient le 35e pays au monde, où la peine de mort est bannie – aujourd’hui, on en compte 147. «Un jour, il y aura l’abolition universelle, confia-t-il. Mais je suis trop vieux. Je ne la verrai pas.»

En 1986, il quitte le ministère de la Justice, devient président du Conseil constitutionnel jusqu’en 1995. Un sage parmi les sages, et son «élève», l’avocat-écrivain Richard Malka, de rappeler que Robert Badinter est passionné par la technique juridictionnelle – une discipline que nombre d’avocats négligent. Lui qui assurait que «l’État de droit n’est pas l’état de faiblesse», souvent avec sa femme Elisabeth, il mena tant et tant d’autres combats, parmi lesquels le droit du travail, les prisons, les droits des LGBT+… En ce premier anniversaire de sa disparition, rappelons alors les mots de son «cher» Victor Hugo : «Il est un droit qu’aucune loi ne peut entamer, qu’aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur».

Robert Badinter. Au nom de la justice,
de Jean-Yves Le Naour et Marko. 
Dunod Graphic.

Justice toujours, de Robert Badinter
avec Éric Fottorino et Laurent Greilsamer.
Le 1 / Éditions de l’Aube.

La justice qui tue n’est pas la justice

Lire et relire Robert Badinter

L’Exécution (1973)

Un livre-témoignage sur la peine de mort

Condorcet (1988)

Écrit avec sa femme Elisabeth Badinter. La biographie de référence sur un intellectuel en politique

Libres et égaux… (1989)

Une plongée dans l’histoire de l’émancipation des Juifs sous la Révolution française entre 1789 et 1791

La Prison républicaine. 1871-1914 (1992)

Un retour sur ce lieu de relégation, devenu une obsession pour Robert Badinter et une recherche des raisons qui conduisent la République à plaider inlassablement en faveur de l’humanisation

Contre la peine de mort (2006)

Les principales interventions, articles et entretiens sur son combat pour l’abolition de la peine de mort

Les Épines et les Roses (2011)

Le récit de son «voyage au pays du pouvoir» durant les années 1981-1986

Idiss (2018)

Le portrait de sa grand-mère, et l’évocation de la lointaine Bessarabie dont sa famille est originaire. Et aussi un hommage aux disparus, dont son père arrêté, déporté et assassiné en 1943 au camp d’extermination de Sodibór

Théâtre I (2021)

Trois pièces réunies en un recueil autour de justice et l’injustice

Robert Badinter vu par…

Richard Malka, avocat et écrivain

«Sa disparition, ce fut comme la perte d’un bout de sa conscience. Pour chacun de nous, il était notre conscience. C’était un homme de colères, il n’était pas consensuel. Il était clivant, courageux. Il affirmait ses convictions avec beaucoup de force et de vivacité. Il n’allait pas dans le sens du vent ni de l’époque. Il se confrontait à son époque, et sur énormément de sujets. Il est devenu consensuel au fil du temps, je pense qu’il en a été le premier surpris. Pour moi, ce qui l’a caractérisé, c’est sa droiture, il se tenait droit, il ne bougeait pas. Et si pour défendre son humanisme, il avait fallu affronter la terre entière, il l’aurait affrontée.»

Michelle Perrot, spécialiste de l’histoire des femmes

«C’était un homme de lumière. Il était lui-même lumière. Il aimait tant Condorcet, esquisse des progrès et de l’esprit humain. Il savait que les progrès ne sont pas toujours définitifs, il y a dans l’ombre quelque chose qui les menace. Lui, il a tenu le coup, toujours, avec sérénité. C’était un homme qui résistait, qui allait son chemin et qui nous donnait du courage pour continuer. Il croyait au droit qui, pour lui, était une discipline fondamentale.»

Éric Fottorino, directeur de l’hebdomadaire Le 1

«Sans cesse, Robert Badinter avait combattu ce pouvoir exorbitant d’avoir droit de vie ou de mort sur une personne. Cet avocat hors pair par son verbe et sa force de conviction était devenu, par son intégrité, une conscience, une boussole, une référence. Un de ses derniers combats fut de vouloir traduire le président russe, Vladimir Poutine, devant la Cour pénale internationale. La justice, toujours. Et l’espérance.»