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Ils quittent «l’enfer fiscal» lorrain pour le Luxembourg 


Ils sont menuisiers ou installateurs sanitaires et avaient créé une microentreprise en France. Aujourd’hui, ils quittent tout pour le Luxembourg.

À 50 ans, ces entrepreneurs lorrains n’en peuvent plus des lourdeurs fiscales et des cotisations en France et deviennent salariés au Luxembourg. Des artisans aujourd’hui soulagés.

À 51 ans, Jean-Pierre a quitté sa menuiserie en Moselle et ne compte plus jamais y mettre les pieds. En tout cas, pas pour y gagner sa vie. Face à ce qu’il appelle «l’enfer fiscal», il a décidé de prendre un emploi salarié au Luxembourg «bien plus tranquille». Avec ses longues années d’expérience, cet artisan n’a pas cherché longtemps avant de trouver un poste de menuisier, un métier très recherché au Luxembourg.

Il avait créé sa microentreprise (autoentrepreneur) en reprenant l’atelier de son père, en novembre 1999. «Ce n’était plus possible de continuer avec tout ce que l’État nous prend au passage», regrette-t-il. Il travaillait seul dans sa menuiserie et se contentait de peu. «Je n’arrivais plus m’en sortir et d’ailleurs, je dois encore de l’argent à l’Ursaff que je rembourse tous les mois», avoue-t-il.

L’organisme qui collecte les cotisations des indépendants en France était sa bête noire. En septembre dernier, quand il a changé de vie pour venir travailler au Luxembourg, il arrivait à peine à se payer un salaire de 1 000 euros par mois. «Pour rien au monde je ne reviendrai travailler en France, et j’étais prêt à prendre n’importe quel boulot alimentaire au Luxembourg», explique aujourd’hui Jean-Pierre.

Des arriérés à l’Ursaff

En septembre dernier, date à laquelle il décide de devenir salarié au Luxembourg, le seuil en deçà duquel les petites entreprises ne sont pas assujetties à la TVA est fixé à 37 500 euros. Depuis le vote du budget présenté par le nouveau Premier ministre français, François Bayrou, ce seuil a été abaissé à 25 000 euros. Les petits autoentrepreneurs ne comprennent pas pourquoi l’État vient chercher des taxes auprès d’eux. «J’ai bien fait de partir à temps !», déclare Jean-Pierre. Il avoue qu’il l’aurait fait dès l’annonce de ce changement, car il n’aurait pas tenu le coup.

Un de ses vieux amis l’a suivi au Luxembourg. Laurent n’était pas autoentrepreneur, mais cet installateur sanitaire avait créé il y a 20 ans une SARL en Moselle également, après avoir quitté un emploi salarié au Luxembourg. Aujourd’hui, il se rend compte de «l’erreur» qu’il a commise. Laurent a lui aussi plus de 50 ans et doit payer des arriérés à l’Ursaff pendant quelques années encore. «C’est l’enfer, il n’y a pas d’autre mot», répète Jean-Pierre de son côté.

Quand on lui dit qu’il a encore de la chance de vivre à proximité du Luxembourg, il réfléchit quelques secondes et répond : «Si j’habitais le centre de la France, j’aurais tout lâché aussi et je me serais mis au RSA», l’équivalent du Revis au Luxembourg. Tout sauf revenir en arrière, c’est son credo. Il voit d’un très mauvais œil l’avenir pour les autoentrepreneurs en France. «Ce n’est plus vivable, on n’a que des soucis et des emmerdes et on n’arrive à peine à dégager un salaire», lâche-t-il.

Il prédit qu’un grand nombre de petits entrepreneurs comme lui vont abandonner leur statut. «L’autre risque, c’est qu’ils vont faire un chiffre officiel de 25 000 euros et tout le reste au black», prédit-il.

Concurrence déloyale ?

Depuis que ce changement de seuil est connu, les internautes se déchaînent aussi. «Pour moi ça sent la fin de mon autoentreprise, rajouter de la TVA fera monter mon devis et donc ma compétitivité face aux grosses boîtes c’est fini», écrit cet électricien qui a essentiellement des particuliers comme clients. «Si tu factures à des professionnels, ils peuvent récupérer la TVA, mais pas les particuliers à qui tu vas devoir facturer 20 % de plus ou diminuer ta marge de 20 %, ce qui n’est même pas envisageable vu le maigre salaire que tu te prends», explique cet autre internaute.

D’autres, en revanche, estime que cette mesure est juste : «Le seuil d’exonération de la TVA était trop haut et créait une concurrence déloyale», répond cet autre. «En fait, le vrai scandale, c’est ce statut d’autoentrepreneur qui a institué la précarité. Combien de salariés ont été priés de s’installer comme autoentrepreneur et travailler pour ladite entreprise ?», questionne une internaute bien au fait du sujet.

Pendant ce temps, au Luxembourg, les personnes assujetties dont le CA annuel hors taxe d’une année civile n’a pas dépassé 50 000 euros bénéficient d’une franchise de TVA. Le plafond était de 35 000 euros jusqu’ici, il est passé à 50 000 euros depuis ce mois de janvier. On parle ici des indépendants, le statut d’autoentrepreneur tel que le connaît la France n’existe pas au Luxembourg.

MAJ : TVA des autoentrepreneurs : le gouvernement suspend une mesure décriée

Face à la levée de boucliers de politiques de tous bords et d’organisations professionnelles, le gouvernement a annoncé jeudi soir la suspension de la baisse du seuil d’exemption de TVA dont bénéficient les microentrepreneurs, le temps d’une concertation pour « ajuster cette mesure si nécessaire ».

« Nous avons entendu les demandes des autoentrepreneurs. Je peux annoncer que Véronique Louwagie, la ministre du Commerce, va lancer une concertation afin d’ajuster cette mesure si c’est nécessaire », a déclaré jeudi soir le ministre de l’Economie Eric Lombard sur France 2.

« Pendant le temps de cette concertation, cette mesure sera suspendue, cc’est-à-direque les autoentrepreneurs ne devront pas s’inscrire pour payer la TVA. Donc on aura le temps du dialogue », a ajouté le ministre. « Si ce dialogue fait que cette mesure rapporterait moins, on trouvera d’autres façons. »

Cette mesure, qui obligera les microentreprises assujetties à la TVA à facturer 20% plus cher, a été critiquée par des partis politiques de tous bords, de LFI au RN en passant par certains macronistes.

« C’est une injustice criante organisée par le bloc central, des Macronistes aux LR », a protesté le RN en lançant une pétition. LFI a annoncé vouloir déposer une proposition de loi pour abroger la mesure, a indiqué le président LFI de la commission des Finances de l’Assemblée Éric Coquerel selon FranceInfo.

Les fédérations de petites entreprises sont , elles aussi,montées au créneau, en avertissant que la mesure « risquait d’entraîner travail au noir, excès de paperasse ou faillites ». L’UNAPL, organisation professionnelle représentant les professions libérales, a demandé jeudi « un moratoire » et une concertation d’urgence.

L’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) a également regretté « une mesure désastreuse pour les microentrepreneurs et le dynamique entrepreneuriale en France », qui sera selon elle « inflationniste et incitative à la fraude ».

Pour Marc Sanchez, secrétaire général du Syndicat des indépendants et TPE (SDI), « sans aucune concertation ni réflexion sur les conséquences, le gouvernement a choisi d’adopter une logique purement comptable de court terme ».

De son côté, l’U2P (entreprises de proximité) reconnaît les bienfaits de la mesure pour simplifier les seuils de TVA et limiter les distorsions de concurrence en France et en Europe, mais regrette « l’absence de concertation préalable ».

Selon Eric Lombard, cette mesure « faisait l’objet d’une demande des artisans pour maintenir plus d’égalité entre les autoentrepreneurs et les artisans » et les recettes fiscales supplémentaires n’étaient « pas l’objectif principal ».

Même abaissé à 25 000 euros, ce nouveau seuil épargnerait la majorité des microentrepreneurs : sur les 2,5 millions recensés par l’INSEE fin juin 2022, ils n’étaient que 1,3 million à déclarer un chiffre d’affaires, d’un montant moyen de 4 907 euros par trimestre, soit 19 600 euros par an.

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