Avec ses boucles rousses en cascade, ses tenues hautes en couleur et sa voix sur le fil du rasoir, Chappell Roan a signé en quelques mois une ascension fulgurante au sommet de la pop, consacrée aux Grammy Awards.
Encore confidentielle il y a un an et demi, la chanteuse Chappell Roan s’est retrouvée catapultée en tête d’affiche des Grammy Awards. Lors de la cérémonie, dimanche, elle a été élue meilleure nouvelle artiste, tout en tenant la dragée haute à Beyoncé, Taylor Swift ou Billie Eilish pour le prix du meilleur album. La jeune femme de 26 ans s’amuse de jouer dans la cour des grands. Sur la scène de Coachella, plus gros festival américain, elle s’est autoproclamée comme «l’artiste préférée de ton artiste préféré». Une boutade largement fondée, pour cette supernova adoubée par Lady Gaga, Ariana Grande ou Elton John.
Je suis l’artiste préférée de ton artiste préféré
À la radio, sur TikTok ou sur scène, Chappell Roan s’est faite omniprésente. Nouvelle égérie de la communauté LGBT+, la chanteuse du Missouri parle aussi à l’Amérique traditionnelle dont elle est issue : son tube Hot to Go!, avec sa chorégraphie inspirée de l’univers des pom-pom girls, est joué lors des matches de football américain. Une popularité impressionnante, pour une artiste tout sauf lisse. Sous son maquillage criard, elle assume frontalement son homosexualité, son soutien à la cause palestinienne, où son dédain pour Joe Biden – dont elle a boudé l’invitation à venir jouer à la Maison-Blanche pour la Pride, avant de voter pour Kamala Harris.
Début de carrière interrompu
Le phénomène Chappell Roan ne sort pourtant pas de nulle part. Elle fait de la musique depuis une dizaine d’années, et s’est accrochée inlassablement, en enchaînant les petits boulots et les psychologues pour apprendre à gérer sa bipolarité. Originaire de Willard, une bourgade du Missouri, Kayleigh Rose Amstutz – son vrai nom – a passé une enfance esseulée dans le Midwest, au sein d’un foyer chrétien conservateur. À la fin de l’adolescence, elle part pour Los Angeles, où elle découvre son amour pour les femmes et fait ses premières armes musicales. Elle choisit son nom de scène en référence à une chanson de cow-boy, The Strawberry Roan, qu’affectionnait son grand-père paternel, Dennis K. Chappell.
Ce début de carrière s’interrompt brutalement en 2020, lorsqu’elle est lâchée par sa maison de disques en pleine pandémie de Covid-19. Elle rentre au bercail dans le Missouri, seule avec ses démons. Mais son producteur de longue date, Dan Nigro – qui a notamment collaboré avec Olivia Rodrigo –, ne l’abandonne pas. En 2021, elle le rejoint à Los Angeles pour y travailler sur son premier album au titre révélateur : The Rise and Fall of a Midwest Princess («L’ascension et la chute d’une princesse du Midwest»). Elle y aborde les affres de sa sexualité et sa propension à la nostalgie, sur des rythmes pop coiffés de sa voix délicate, toujours sur la brèche.
Son succès éclair lui coûte parfois. Victime de harcèlement, elle a appelé sur les réseaux sociaux ses fans à respecter son intimité et a même laissé éclater sa fragilité sur scène. Elle a fondu en larmes lors d’un concert l’été dernier, en confiant à ses fans se sentir «un peu ailleurs» face à l’explosion soudaine de sa carrière.
Tournée d’été en Europe
Après cet épisode, de nombreux artistes lui ont envoyé des messages de soutien. Parmi eux, Sir Elton John : le Britannique l’a appelé onze fois depuis un numéro masqué avant qu’elle ne réponde, a-t-elle raconté au magazine Rolling Stone. «Je lui ai dit que j’avais beaucoup de mal, et il m’a répondu : « Si tu as besoin d’arrêter, dis-le »», a-t-elle confié. Elle devrait néanmoins rempiler l’été prochain, avec une tournée des festivals prévue dans plusieurs pays d’Europe.
Ce sera l’occasion de parfaire les tenues excentriques qui ont fait son succès, après s’être affichée sur scène en statue de la Liberté, en Marie-Antoinette ou en chevalière. Une esthétique «camp» empreinte de provocation, propre à la culture queer, et qu’elle aime partager avec ses fans, à qui elle suggère de venir déguisés à ses concerts. Mais malgré cet aspect très communautaire, la chanteuse refuse de se laisser enfermer dans son homosexualité. «J’aime être gay», a-t-elle concédé à Rolling Stone. «C’est juste que je ne veux pas en parler chaque seconde de chaque jour.»