Le député socialiste Franz Fayot, ancien ministre de l’Économie, évoque avec nous sa bataille contre Elon Musk, ses idées pour la Grande Région et la politique du nouveau gouvernement que lui dicte le patronat, selon lui, et les valeurs qui se perdent. Le Luxembourg n’est pas ce havre de stabilité cher à Luc Frieden, d’après Franz Fayot.
Vous êtes parti en guerre contre Elon Musk sur son propre réseau, X. C’est important de se manifester sur ce genre de plateforme?
Franz Fayot : Elon Musk fait partie de ces oligarques américains qui ont financé la campagne de Trump pour des raisons très intéressées, c’est-à-dire pour leur business. Ce sont des personnages absolument toxiques, qui sont complètement hors sol et qui instrumentalisent des gens comme Trump. Elon Musk est un personnage très préoccupant et son immixtion, via le réseau X avec quelques centaines de millions d’abonnés, dans les démocraties européennes est tout à fait inquiétante.
Il fait partie de cette internationale fasciste qui vise à mettre en place, à instaurer des leaders d’extrême droite un peu partout dans le monde.
Comme le fait Steve Bannon, bien que les deux hommes se détestent, s’entredéchirent même, et c’est peut-être la seule chance qu’il nous reste. Et donc je trouve qu’il faut se défendre et parfois se manifester, même s’il ne me répond pas. Il faut surtout avoir les moyens de lutter contre les effets néfastes qu’ils provoquent avec leurs publications.
Justement, l’Europe s’est donné les moyens de lutter contre ces publications via le Digital Services Act (DSA)…
Oui, absolument. Je pense que le DSA est une tentative de civiliser le débat sur internet. C’est de faire en sorte qu’on ne puisse pas dire sur internet ce qu’on ne peut pas dire dans la vie réelle. Le DSA est une épine dans le pied des Mark Zuckerberg et Elon Musk de ce monde qui veulent des réseaux sociaux non modérés.
Ce qui est toxique dans Musk aussi, c’est qu’il méprise les journalistes et qu’il répète à tout le monde qu’ils sont tous des journalistes et que leurs opinions comptent autant que celle d’un éditorialiste.
Mais à ce moment-là, on descend au niveau du caniveau. On y retrouve tous les conspirationnistes du Covid-19, devenus supporters de Trump et anti-immigration dans la foulée. Ils disent n’importe quoi et influencent le débat de cette manière-là. On les retrouve dans les sphères d’extrême droite.
Mais alors, le DSA fonctionne-t-il ou pas?
Il y a des procédures en cours contre Musk et X sous le DSA. Elles ne sont pas encore conclues. J’espère qu’il y en aura d’autres. C’est quand même une violation en temps réel du DSA. Les discours de haine, sans modération, sont publiés tous les jours sur cette plateforme. Ça va être la même chose avec Zuckerberg. Ce qui est vraiment dangereux, c’est que Facebook n’en est pas à son coup d’essai.
Le réseau social a joué un rôle central dans la montée du climat de haine en Birmanie, dans le massacre des Rohingyas ou dans des pays où Facebook et internet n’ont aucune modération et sont des incitations au génocide. C’est vraiment très dangereux et je pense que le DSA est un instrument qui peut être tranchant parce que les amendes sont énormes.
C’est la raison pour laquelle les Musk et compagnie sont si agressifs et que Trump s’attaque à ces réglementations européennes.
Vous avez décidé, pourtant, de rester sur X quand d’autres ont quitté le réseau. Pourquoi?
Oui, j’ai décidé de rester, mais je dois dire que je suis vraiment très partagé. Le fait est que, sur X, il y a tellement de toxicité, tellement de trolls. Quelqu’un sur Instagram m’a mis un commentaire en me disant « tu ne vas pas non plus dans des bars nazis pour essayer de convaincre les clients de changer leur position. Alors qu’est-ce que tu fous sur Twitter?« .
Ce n’est pas totalement faux non plus. Il y a encore des gens, même sur X, qui se défendent contre Musk.
Son intervention en Allemagne lors d’un meeting de l’AfD, le parti d’extrême droite est quelque chose d’effrayant et surtout d’assez nouveau…
Oui, et ce sont des meetings qui rappellent les nazis dans les années 30.
Que représente l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche pour l’ancien ministre de l’Économie que vous êtes? Un grand danger pour l’UE que l’on peut d’ores et déjà mesurer?
Je pense que l’Union européenne l’indiffère. Un peu comme Poutine, il pense que nous sommes une quantité négligeable. Le centre de son attention n’est clairement pas l’Union européenne. S’il s’intéresse à quelque chose, c’est l’Indo-Pacifique, comme Biden avant lui.
Il y a tout ce qui gravite autour de la Chine. Je crois qu’en politique étrangère, il est influencé par les milieux des restrainers, ces théoriciens républicains qui pensent que les États-Unis doivent se concentrer sur certains théâtres internationaux et que surtout l’Europe doit se charger de sa propre défense et s’occuper de ses problèmes, au premier lieu desquels l’Ukraine.
Je pense que, dans un premier temps, manifestement, il risque de faire mal à certaines économies européennes. Si Trump décide d’introduire des droits de douane sur les automobiles allemandes à hauteur de 20 %, ça représentera un trou de presque 200 milliards d’euros dans le bilan du commerce extérieur allemand, comme je l’ai lu récemment. C’est vraiment considérable. Et la même chose pour d’autres produits européens.
Comment vont se comporter les Européens?
Je pense que ça peut avoir un effet bénéfique, si vraiment on profite de cette césure pour renforcer notre propre autonomie dans les domaines clés de la défense, de l’industrie, de la digitalisation, surtout aussi des technologies vertes. Cela peut être, en fin de compte, quelque chose de gagnant.
Mais l’Europe est elle-même divisée…
Oui, nous avons de plus en plus de ces partis d’extrême droite qui arrivent au pouvoir et qui ont tous plutôt un agenda national, voire nationaliste, plutôt que d’intégration de l’Union européenne.
Pour revenir à des sujets plus proches de chez nous, vous avez adressé une interpellation au gouvernement sur la Grande Région que la majorité n’a pas du tout appréciée. Surpris?
Non, pas vraiment. On va puiser dans ce bassin d’emploi, le privant d’ailleurs d’une certaine main-d’œuvre aussi. Le gouvernement ne veut même pas entendre parler d’une rétrocession fiscale, ce qui se fait par ailleurs dans d’autres régions. J’étais quelque part choqué par ce débat, parce que c’était tellement étriqué. Laurent Zeimet, mais aussi Gusty Graas ne veulent même pas en discuter.
L’idée que j’avais proposée dans cette motion, c’était celle du sénateur Olivier Jacquin de mettre en place ce fonds transnational compensatoire qui serait alimenté surtout par le Luxembourg, mais aussi en partie par la France, à qui il faudrait donner une certaine gouvernance.
On serait d’accord de donner un peu plus que ce qu’on fait maintenant pour investir dans la formation, pour investir dans des initiatives culturelles communes, dans des zones d’activité économique communes, peut-être avec une législation un peu spéciale, avec une taxation spéciale pour continuer à investir dans les infrastructures de transport. Construire enfin cette mini-Europe qu’on a ici dans la Grande Région et dont on se vante dans les discours du dimanche.
Il existait un ministère à la Grande Région qui a disparu, absorbé par le ministère des Affaires étrangères qu’occupe Xavier Bettel, qui avait dit un jour ne pas avoir envie de payer les décorations de Noël aux communes frontalières…
Oui, alors que nous avons vraiment des communes, surtout en France, qui sont privées de tout moyen. Il faut savoir que tous ces frontaliers ne payent pas vraiment d’impôts chez eux. Alors, on dit toujours qu’on leur paye une retraite luxembourgeoise, des allocations familiales, etc., mais les communes en tant que telles sont dépourvues de moyens.
Mon idée était d’inviter au débat. Je suis toujours surpris qu’il n’y ait pas eu un gouvernement français qui soit venu à l’idée de discuter sérieusement de ça avec le gouvernement luxembourgeois. Il faut dire qu’on n’a jamais réussi à s’entendre vraiment sur ce sujet dans l’ancienne coalition. C’est vraiment l’idée de codéveloppement qui est importante. On a un territoire qui est commun avec des petites frontières, donc les gens circulent librement.
Mais on a un territoire qui rayonne au-delà des frontières, avec des incidences sur les prix du logement dans toutes ces communes. Alors, essayons de faire une politique commune intelligente plutôt que de s’insulter, de traiter les gens comme des petites colonies en leur parlant comme Macron parle aux chefs d’État africains. Évidemment, quand j’ai dit ça, la majorité s’est offusquée, mais c’est vraiment ça. Il y a une certaine arrogance.
« Je pense que, dans un premier temps, manifestement, Trump risque de faire mal à certaines économies européennes » (Photo : Hervé Montaigu)
Manifestement, ils font la politique que leur dicte le patronat
La politique migratoire s’est en outre durcie. Le gouvernement suit-il une tendance qui semble se généraliser en Europe?
Il y a un discours sécuritaire qui finalement suit ce que fait maintenant Bayrou en France. À nouveau, chez nous, c’est toujours un peu plus caché et nuancé. Mais il n’y a plus de régularisations, il y a des gens qui sont mis à la rue en hiver avec leur bébé.
Il y a effectivement un durcissement de la politique de l’immigration avec cette idée qu’on est menacé en Europe par une vague migratoire. Ce qui est absolument faux. On est dans un continent qui a un déficit démographique considérable. Luc Frieden se rapproche d’une politique de droite plutôt très dure.
Et sa collusion avec le patronat commence vraiment à se voir… Dans quel état se retrouve le dialogue social?
Il est dans un mauvais état, vraiment salement amoché. C’est vraiment ce double langage que je trouve difficilement supportable. C’est complètement hypocrite tout ça. En réalité, la majorité a choisi son camp. Manifestement, ils font la politique que leur dicte le patronat.
C’est très clair ce qu’ils font, mais ils continuent de dire qu’ils tiennent au dialogue social, avec un ministre du Travail qui est complètement inexistant. Récemment, ils avaient un face-à-face avec Nora Back, la présidente de l’OGBL qui a dû débattre face à Marc Spautz, parce que Georges Mischo n’a pas voulu venir alors qu’il était invité, comme l’a précisé la journaliste de RTL Radio.
Il n’y a pas que le dialogue social, mais aussi l’écologie qui passe au second plan, comme vous avez eu l’occasion de le regretter…
C’est un sujet inexistant. Alors que ça devrait vraiment être de plus en plus une urgence. Un fil rouge. Je pense vraiment que l’écologie est un sujet prioritaire, également pour les socialistes. Oui, il faut injecter de la durabilité un peu partout.
La pandémie a été ce moment de rupture avec une véritable prise de conscience, mais on a vite retrouvé les mauvais plis, et je pense que c’est un chantier pour nous, de remettre ça au centre du débat pour les prochains mois et les prochaines années.
Pensez-vous comme Luc Frieden que le Luxembourg est un havre de stabilité?
On n’est pas un havre de stabilité, comme le dit Frieden, on est un centre d’affaires un peu hors sol et tout le reste, c’est un peu secondaire, comme la politique sociétale, la cohésion sociale, la manière dont on accueille les étrangers, les immigrés, notre ouverture face aux réfugiés, la manière dont on traite les crises internationales.
En politique étrangère, on a l’impression qu’on a abandonné toutes nos valeurs quand on observe la manière dont on traite les Palestiniens dans ce conflit, cette guerre menée par un gouvernement israélien d’extrême droite. Il manque de chaleur humaine dans toute cette politique et c’est ce qui est vraiment incroyable.

Formation. Franz Fayot a étudié le droit à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne de 1992 à 1996.
Profession. Il est avocat, inscrit au barreau de Luxembourg depuis 1997.
Député. Membre du LSAP depuis 1994, il est élu député pour la première fois en octobre 2013, prenant ainsi la succession de son père, Ben Fayot.
Ministre. À la suite du remaniement ministériel du 4 février 2020, Franz Fayot fait son entrée au gouvernement. Il est nommé ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire et ministre de l’Économie.
Opposition. Après les dernières élections législatives de 2023, il décide de se consacrer entièrement à son mandat de député de l’opposition et abandonne son métier d’avocat.