Neuf mois après avoir perdu 100 % de sa récolte, Pierre Michelland et ses copains de l’association Rouge Provence mettent la dernière main à leur cuvée «solidaire», qui permettra d’aider d’autres vignerons victimes des aléas climatiques.
C’est tout sourire que, chaque fin septembre, la trentaine de vignerons venus de toute la Provence viticole mettent en commun leurs raisins, 100 kg chacun, pour vinifier leur Plaisir Solidaire, un assemblage de cépages, climats et terroirs différents, allant des Alpilles jusqu’à Nice. Aujourd’hui, c’est l’«habillage» du millésime 2023 : étiquetage des 1 737 magnums, cirage des cols, mise en cartons. Dans le grand hangar du domaine des Béates à Lambesc (Bouches-du-Rhône), le travail en musique a commencé dès 8 h 30. Sur l’étiqueteuse ou devant les cireuses, ça rigole, certains esquissent des pas de danse et chacun y va de son commentaire sur les visages des 33 vignerons dessinés sur l’étiquette.
Installé depuis 22 ans sur le domaine de La Réaltière à Rians, dans le Haut-Var, Pierre Michelland n’a rien oublié des quatre jours d’avril dernier où la température est descendue jusqu’à -5,5 °C. «Les bourgeons étaient sortis en avance, car on avait eu un hiver exceptionnellement doux et un coup de chaud en mars. Et fin avril, on a eu ce gel violent comme la région n’en avait pas vu depuis plus de 30 ans : tout le vignoble a été détruit… Rouge Provence s’est mis en branle : j’ai pu récolter des cépages choisis chez certains vignerons de l’association. Et grâce aussi à des achats de raisins, j’ai assuré 70 % de ma récolte habituelle.»
Le dérèglement climatique, on le vit. Il est flagrant
En mai, Myrko Tépus avait, lui, perdu 90 % de sa récolte, après quatre orages de grêle consécutifs sur son domaine d’Esparron-de-Pallières (Var). «Les copains de l’association m’ont tous donné du raisin et j’ai pu sauver mon année», raconte le jeune vigneron. «Le dérèglement climatique, on le vit. Il est flagrant, avec la multiplication des épisodes de grêle, de chaleur précoce, de gel tardif… On a complètement perdu les saisons», témoigne Pierre-François Terrat, du domaine des Béates. «Cette année, ce sont quatre vignerons de l’association qui ont vu leur récolte détruite. Là, on ne pouvait pas donner du raisin à tout le monde sans nous mettre nous-mêmes en danger.»
Les fonds récoltés grâce à la vente du Plaisir Solidaire ont permis de louer, pour l’un, un élévateur, pour l’autre, un camion, et de financer des événements promotionnels dans les domaines sinistrés. Une journée solidaire a aussi été organisée dans les vignobles. «Et quand 30 vignerons débarquent pour piocher ou tailler, ça fait gagner beaucoup de temps!», reconnaît Clara Fischer, du Château Révelette, à Jouques (Var), qui, comme son voisin de La Réaltière, a subi le «gel historique» de quatre jours, perdant 75 % de sa récolte. «Pour nous, en tant que jeunes, c’est rassurant, car on sait qu’on n’est jamais seul et qu’on peut demander conseil», confie la vigneronne, qui vient de reprendre avec son frère le domaine familial.
C’est le père de Clara, Peter Fischer, qui a fondé l’association avec Jean-Christophe Comor, des Terres Promises à La Roquebrussanne (Var). «Au départ, on voulait exalter notre terroir et la singularité de nos rouges, mais en 2012 un ami vigneron a perdu toute sa récolte à cause de la grêle, et spontanément, avec des copains, on s’est mobilisés pour lui apporter des raisins», explique Jean-Christophe Comor. «Cette solidarité a permis de sauver son exploitation et on a voulu continuer en créant Rouge Provence, pour promouvoir nos vins rouges, dans une région dominée par les rosés (NDLR : 90 % de la production en Provence), et pour montrer qu’on était capables de s’entraider.»
Aujourd’hui, Rouge Provence réunit 34 vignerons, la plupart en bio ou biodynamie, sur des domaines allant de six à 70 hectares. «Nous partageons tous la même philosophie du métier et du vin, cette idée de « vins d’auteur »», dit Pierre-François Terrat. Pour la cuvée solidaire, «nous ramassons nos raisins le même jour et nous les travaillons ensemble», souligne-t-il. «Cette vinification en commun est assez unique. On obtient un assemblage hors norme, mais très révélateur du millésime et qui a tous les marqueurs de la Provence!»