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[Spectacle] ANTI : le pouvoir de dire «non»


(Photo : patrick galbats)

Mêlant danse et théâtre, actualité brûlante et traumatismes intimes, le spectacle ANTI questionne la relation de l’être humain face au pouvoir, aux étouffantes normes sociales et à la violence. Et la possibilité de s’en affranchir.

En guise de mise en bouche (ou en corps), une jolie phrase, celle d’Annie Le Brun, tirée de son essai au titre qui fait sens : Du trop de réalité (2000). «Les hommes consentent à ce que la balle de leurs rêves rebondisse un peu moins chaque jour…» Face à un monde aux funestes promesses et la crétinerie qui s’impose sans retenue, pourquoi en effet si peu de réaction et autant de dos ronds? Il y a plus de dix ans, on saluait la prise de parole de Stéphane Hessel et son cri du cœur Indignez-vous. Mais son appel à la douce dissidence et à reprendre son destin en main face aux codes et discours dominants semble aujourd’hui résonner creux. Pire, dans le vide. Il était donc temps de rappeler que dire «non», à défaut de tout changer, à une valeur purificatoire. Le chorégraphe Brian Ca et le metteur en scène Mikaël Serre s’en veulent le relais, à travers un spectacle hybride aux mots qui frappent et aux corps qui s’agitent d’une énergie nouvelle.

Les hommes consentent à ce que la balle de leurs rêves rebondisse un peu moins chaque jour

C’est un concours de circonstances et un hasard du calendrier qui ont réuni le duo et une troupe de six danseurs-comédien(ne)s, mobilisés contre l’humeur du moment et le temps qui file. Réuni depuis seulement deux semaines, le collectif, les yeux rivés sur la montre, a eu peu de temps devant lui. Un mois tout au plus. Il crée alors sur le fil du rasoir, dans une urgence finalement bénéfique. «Il y avait ce mélange d’excitation, d’adrénaline et d’instabilité» constructives, précise Brian Ca. C’est de ce feu «irradiant le plateau» qu’est né ANTI, fruit d’une «rencontre humaine en accéléré», relaye Mikaël Serre, et condensé «d’émotions» brutes. «On a trouvé un sujet proche de nos sensibilités» face à la situation du moment, soit questionner la relation de l’être humain avec la violence, le pouvoir et les normes sociales qui emprisonnent. Avec au bout, la possibilité, voire la nécessité, de s’en affranchir.

«Le désir comme force subversive»

Un vaste sujet, rendu complexe par un monde aux valeurs chamboulées, qui nécessite tout de même quelques bases solides. D’un côté, plus général, les écrits d’Annie Le Brun donc, mais également ceux de Kathy Acker et Maggie Nelson, aux messages que résument Mikaël Serre : «Le désir comme force subversive, l’écriture comme acte de résistance, la pensée comme un champ de bataille, et surtout, l’art comme moyen de résister, tout en continuant à poser les questions essentielles.» De l’autre, plus intime, les expériences traumatisantes vécues et partagées par les danseurs et danseuses, fil rouge fragile sur lequel le tandem va tirer pour développer un «portrait universel» sur les mécanismes de l’oppression et de la révolte. Sur scène, alors, six identités qui semblent se connaiîre. La parole se libère, les conflits naissent, les camps se forment… Jusqu’à la «bascule» commune : celle de ne «plus vouloir subir».

Dans ces allers-retours entre asservissement et libération, ANTI ne choisit ni la forme, ni le ton. Son allure sera hybride, à la fois danse et théâtre, mouvements et comédie. Avec la promesse d’un rendu «dynamique, explosif et visuel». Pour y parvenir, la méthode employée ressemble à une avancée en pointillé, comme dans un «work in progress», mais animée par «l’instinct», souligne Brian Ca, à travers une «horizontalité» qui s’est imposée d’elle-même. Mikaël Serre parle ainsi d’«un dialogue intuitif», tandis que son partenaire évoque une «collaboration» de tous les instants. Pour ce qui est du contenu, explique le chorégraphe, on est plus dans une «revendication poétique et émotionnelle» que dans une prise de position marquée. «Le but n’est pas d’imposer une pensée qui serait victorieuse, ou d’être dans la propagande», soutient le metteur en scène. Pour éviter ce «piège», ANTI sort un argument convenu, qui se retrouve derrière n’importe quelle pièce : prendre de la distance, accepter la complexité et garder l’esprit critique en éveil. C’est, comme on dit, le sel même du théâtre.

Un état proche «de la transe»

Lors d’une récente répétition publique, confient-ils d’une même voix, le public invité a été surpris par la puissance déployée par la troupe et sa capacité à «aller aussi loin dans un état de transe». Tant mieux, car c’est l’objectif : «Libérer la voix, l’énergie» et tout ce qui demande finalement à sortir dans la danse, la fureur et le bruit. «C’est comme une séance chez le psychanalyste, mais en réduit!», rigole Brian Ca. Effectivement, au milieu du remous, il y a un canapé (pour le coup vert et non rouge), mais attention, ANTI n’est pas pour autant une «thérapie de groupe» ou de l’«exhibitionnisme» artistique, poursuit Mikaël Serre. C’est, explique-t-il encore, un jeu sensible d’actions-réactions. «Comment la pensée infiltre le corps et comment le corps infiltre la pensée, la domine, la transforme», précise-t-il. Car l’idée de départ est, rappelons-le, «d’aller contre quelque chose, de se rebeller, et surtout, de s’en libérer pour retrouver une authenticité». Le résumé, sur le site du théâtre d’Esch-sur-Alzette, parle même de «gestes explosifs de survie».

Reste que, quand il est question de soulèvement et d’émancipation, la notion de violence revient inexorablement sur le tapis. Doit-on alors défendre son usage ou la contester? Que penser du geste de Jacqueline Sauvage qui, en 2012, a tué son mari violent (elle sera graciée quatre ans plus tard)? Ou celui de Luigi Mangione, devenu un héros pour certains sur internet après le meurtre d’un grand patron? Brian Ca : «La pièce pose la réflexion du « comment contester » et du politiquement correct : jusqu’où peut-on aller, quel degré de violence est justifié dans la contestation et dans le refus?» Il se gardera de donner une réponse, laissant le public à ses choix. D’ailleurs, pour Mikaël Serre, ce n’est pas le dénouement ou les moyens qui comptent, mais le processus, «de la déconstruction à l’acceptation». Une catharsis qui, c’est vrai, ne change pas la face du monde, mais qui fait un bien fou.

«ANTI»
Théâtre – Esch-sur-Alzette.
Demain à 20 h. Dimanche à 17 h.

Grand Théâtre  – Luxembourg.
Le 31 janvier et 1er février à 20 h.

 

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