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[Album de la semaine] «Balloonerism» de Mac Miller, entre ciel et terre


Deux jours après la sortie de Balloonerism, soit dimanche dernier, Mac Miller aurait fêté son 33e anniversaire.

Victime d’une overdose à l’âge de 26 ans, en septembre 2018 – soit un mois à peine après la sortie de Swimming, son cinquième album et chef-d’œuvre absolu au sein d’une discographie qui, du vivant de l’artiste, n’a fait que monter en qualité –, le rappeur et compositeur, pour sa créativité sans bornes, sa facilité à jongler avec les instruments, les genres musicaux, les mots et les émotions, laisse depuis bientôt six ans un vide immense dans le paysage rap américain. Si 33 ans est, dans l’imaginaire collectif, l’âge de la mort du Christ, c’est aussi celui de sa résurrection. En ce sens, on peut assurer que Balloonerism, publié une dizaine d’années après sa réalisation, et les nombreuses versions «bootleg» de l’album qui ont depuis circulé sur internet, étaient attendus comme le messie.

Derrière ses productions qui tirent essentiellement vers les influences jazz et soul – Mac Miller, sous son pseudo de producteur, Larry Fisherman, assure toutes les compositions, accompagné en premier lieu du surdoué de la quatre-cordes Thundercat –, Balloonerism renferme quelques-uns des textes les plus sombres et déchirants du rappeur. «What does death feel like? / Why does death steal life?» («À quoi ressemble la mort? / Pourquoi la mort vole la vie?»), sur les notes mélancoliques et aériennes de Rick’s Piano, «If I’m dying young, promise you’ll smile at my funeral» («Si je meurs jeune, promets-moi de sourire à mon enterrement»), sur la production épurée au maximum de Shangri-La (une batterie, une basse et c’est tout), jusqu’au leitmotiv d’un téléphone qui sonne dans le vide (Tomorrow Will Never Know), on comprend aujourd’hui pourquoi Mac Miller tenait Balloonerism pour l’une de ses œuvres fondamentales.

Il faut donc revenir à la genèse de ce disque, composé et enregistré pour l’essentiel au cours d’une semaine de «jam sessions» en mars 2014, et que l’artiste envisageait comme complémentaire à sa mixtape Faces (2014) – de la même manière que Swimming et Circles (2020, son premier album posthume) seront conçus comme en miroir. Faces était marqué par la recherche au sens large de nouvelles sonorités jazz et hallucinatoires pour accompagner des textes particulièrement sinistres; ce que l’on retrouve en partie dans Balloonerism, créé, donc, au moment où Mac Miller est plus que jamais livré à lui-même dans son rapport à ses addictions et à sa santé mentale. Ce qui lui fait se demander, dans Manakins : «Pourquoi « héroïsme » est-il si proche d’ »héroïne »?» Une question rhétorique, oui, mais existentielle.

Un autoportrait visionnaire qui fait rimer psychédélisme avec examen de conscience

Qu’il s’épanche sur sa consommation de stupéfiants (sur le groove doucement abstrait de Friendly Hallucinations ou l’entêtant riff de blues de Stoned et ses paroles à double sens) ou sa dépression (Rick’s Piano), ou qu’il analyse la complexité de ses relations amoureuses (le doux-amer 5 Dollar Pony Rides), Mac Miller avait accompli, avec Balloonerism, un autoportrait visionnaire qui fait rimer psychédélisme avec examen de conscience. De quoi le rapprocher de deux de ses héros, autres figures tragiques : John Lennon et Daniel Johnston. Ce n’est pas pour rien que DJ’s Chord Organ, comme l’indique son titre, a été composé sur l’instrument ayant appartenu à ce dernier… Parmi les plusieurs centaines de chansons «perdues» de Mac Miller, il y a des projets entiers que l’on sait finis, dont des albums collaboratifs avec son pote Thundercat, mais aussi avec Madlib et même Pharrell Williams. Que ceux-ci se matérialisent un jour ou non, il faut faire confiance et saluer le travail scrupuleux des ayants droit, qui tiennent à garder intacts les morceaux exhumés. Une chose est donc certaine : Balloonerism aurait rendu fier le principal intéressé.

Mac Miller « Balloonerism »

Sorti le 17 janvier

Label Warner

Genre rap