Qu’est-il donc arrivé à la princesse de la pop ? Un court mais riche documentaire revient sur le parcours de la première star du XXIe siècle, cobaye de la célébrité moderne et incarnation parfaite des dérives d’une époque.
La réalisatrice Jeanne Burel est, depuis son plus jeune âge, une fan de Britney Spears. Comme d’autres filles, elle a suivi sa folle ascension. S’est amusée aussi à rejouer ses chorégraphies devant le miroir, peigne en main en guise de micro. Puis, plus grande, a assisté à sa chute, brutale, sans chercher vraiment à en comprendre les causes. À l’instar des intervenant(e)s qui rythment la mini-série Britney sans filtre, disponible sur le site d’ARTE, elle a aujourd’hui ce qui semble être des remords. «On a notre part de responsabilité!», entend-on ainsi au gré des interviews. Car avec du recul, vingt-sept ans après le premier succès de la princesse de la pop (Baby One More Time), ils et elles s’entendent à le reconnaître d’une même voix : «Elle nous ressemblait bien plus qu’on le croyait…».
Le mea-culpa tardif prend ici une forme particulière : cinq épisodes d’à peine plus de dix minutes, tout juste suffisant pour appréhender l’intention, soit décortiquer la trajectoire, entre ciel et enfer, de cette «idole ultime», à travers les rouages d’une société du spectacle qui tourne à vide, alimentée par notre regard à tous. Car qu’on l’aime ou qu’on la déteste, Britney Spears ne laisse pas indifférent. Son origine modeste, en Louisiane (qu’elle n’a d’ailleurs jamais renié), permet vite au public de «s’identifier» à cette «fille lambda, sympa», facilement «vulgaire» et «terriblement sexy». Il ne la lâchera plus, épiant ses moindres faits et gestes, dans ses bons comme ses mauvais moments. Elle devient alors le «cobaye de la célébrité» au cœur d’un XXIe siècle où l’image devient omniprésente. Omnipotente même.
L’enfant star de Disney
Journalistes, auteur(e)s, psychologues et autres expert(e)s, dont les interventions (affectives et intellectuelles) se mêlent aux archives, précisent d’emblée : «Son corps, tombé dans le domaine public, est le symptôme de toute une époque». Son évolution, sur plus de trois décennies, va en effet épouser, dans une surprenante parallèle, l’avènement des nouveaux médias et leurs usages, de ses premiers pas au Mickey Mouse Club (aux côtés de Justin Timberlake, Ryan Gosling…) jusqu’à ses récentes vidéos sur Instragram où ses 42 millions d’abonnés la voient, le regard vide, se lancer dans d’étranges danses (parfois armée de couteaux), tournant sur elle-même comme un hamster dans sa roue. «Toute sa vie est un récit basé sur son identité réelle», apprend-on. Et toute sa vie, elle en sera prisonnière.
Son corps, tombé dans le domaine public, est le symptôme de toute une époque
Tout commence dans les années 1990 et le culte de l’enfant star, mode qu’elle contribue à alimenter comme un «bon soldat» à qui l’on apprend à tout faire : danser, chanter, parler et exister devant une caméra. Elle incarne tôt la petite fille modèle estampillée Disney, qui plaît aux enfants comme aux parents. Ce qui lui permettra de cartonner avec son premier album en 1999, pas aussi dévergondé que le second l’année suivante (Oops!… I Did It Again) où sa sensuelle métamorphose va faire d’elle une «proie» et la «victime idéale» des nouvelles chaînes où l’on se plaît à déballer l’intimité des stars comme des anonymes (rappelons que la téléréalité est alors en plein boom).
Boule à zéro
Au début de ce nouveau siècle, l’Amérique oscille entre un puritanisme exacerbé et la fascination obsessionnelle pour tout ce qui tourne autour du sexe. Et Britney Spears devient à la fois l’emblème et le bouc émissaire de cette culture schizophrène. Dans des séquences télévisuelles ahurissantes, on ne lui parle plus de musique ni de show, les questions étant à la hauteur de la qualité ordurière de ces émissions : «Êtes-vous célibataire? Êtes-vous vierge? Vos seins sont-ils refaits?». Dans cette machine à broyer qu’est le divertissement, elle devient la cible des paparazzis, traquée comme «Pacman par les fantômes».
Puis l’explosion du smartphone et d’internet (notamment celui des blogs de ragots) va finir par l’achever. «Esclave» de toutes et de tous, elle se rase la tête pour «mettre à mort son personnage» alors que tout le monde met ce geste sur le compte de la folie. «Elle voulait être une star, elle mérite tout ça!», se rappelle avoir pensé une des intervenantes, à regret. La suite n’est qu’une longue et douloureuse dégringolade : elle divorce, perd la garde ses deux enfants et le contrôle de sa propre vie, mise sous tutelle par son père en 2008. Elle est, à 26 ans, une Raiponce enfermée dans son palais doré. Une Marylin des temps modernes, incarnation du rêve américain et ses dérives.
Communauté de fans
Elle confie dans son autobiographie, La Femme en moi, sortie en 2023 : «Je souriais poliment aux présentateurs qui mataient mes seins, pendant que les parents m’accusaient de corrompre leurs enfants et que mon père et ma mère me traitaient comme le diable…». Tout au fond du gouffre, elle doit son salut à l’émergence des réseaux sociaux qui permettent aux stars de se réapproprier leurs images face aux journaux et émissions à scandale. Mise sous cloche, la chanteuse voit ses fans former une communauté, unis derrière le slogan «Free Britney». Le 23 juin 2021, depuis un tribunal de Los Angeles où résonne sa voix méconnaissable, la tutelle tombe et elle retrouve enfin sa vie, désormais libre de faire ce qu’elle veut de son image.
Une forme de «vengeance», conclue la série, pour celle qui en était dépossédée depuis sa prime adolescence. Une émancipation tardive, dit-on encore, pour une artiste que l’on s’est amusé à voir partir à la dérive. Pour un corps de femme, encore, meurtri et sali. C’est pour ce dernier motif où Britney sans filtre est peut-être un peu léger, n’abordant que partiellement (format court oblige) la condition des femmes aux États-Unis à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Pour le reste, il montre avec sensibilité et esprit qu’il y a toujours un «prix à payer» quand on est célèbre, sûrement trop lourd d’ailleurs. Et qu’à l’heure où tout se déballe, se critique et se note, tout le monde joue un rôle dans cette écrasante mécanique. Y réfléchir serait déjà un lucide premier pas.
Britney sans filtre, de Jeanne Burel.
ARTE.