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Tout doit disparaître

Une page de l’histoire du commerce de la capitale va se tourner définitivement ce samedi. Les alima-bourse et belair – les deux derniers survivants de la chaîne ouverte en 1951 – vont fermer leurs portes pour laisser place à des magasins Delhaize. Le personnel est conservé par le repreneur, mais réparti dans ses succursales à travers le pays.

Pour ma part, je fréquentais ces supérettes plusieurs fois par semaine depuis plus de trente ans. Lycéenne, pour y acheter des friandises, puis tout ce qu’il faut pour faire tourner un foyer plus tard. À l’alima-bourse surtout. Un petit monde en soi porté par Claudine, Tonia et tous les autres, qui connaissaient les péchés mignons des clients habitués, leurs vies et leurs petits secrets honteux à force de papotages en caisse ou entre deux rayons. Samedi, tout cela va être effacé. Jean, le clochard fidèle au poste depuis près de 30 ans, a été le premier à plier bagage.

Cette fermeture a lieu dans l’indifférence générale des grandes villes où l’anonymat est loi, où on pèse et scanne soi-même ses achats. Où, le nez rivé sur son smartphone en plein chat avec quelqu’un du bout du monde, on ne s’attarde pas, où on n’essaye plus de se comprendre, où on se croise sans se voir. Le magasin se vide petit à petit, et les affiches annonçant -10 %, -20 %, -30 %, -40 % ou «liquidation», c’était pour masquer que les étagères n’étaient plus remplies. Les caissières avec plus de 30 ans de boutique ont la larme à l’œil, comme les clients venus leur dire au revoir et leur souhaiter le meilleur pour l’avenir. Cette proximité va manquer cruellement.

On se croirait à l’enterrement d’un proche qui a beaucoup compté. Mais ce serait plutôt celui d’un petit monde obsolète et chaleureux, dans une ville qui a perdu ses allures de charmant village. Avec l’alima, un des derniers commerces traditionnels luxembourgeois à avoir tenu bon, c’est pour beaucoup un point de repère supplémentaire qui disparaît au milieu des pop-up stores, des épiceries fines et des enseignes de luxe qui séduisent les nouveaux riches. Une raison de fréquenter le centre-ville également.