Eric Anselin, le directeur de l’Île aux clowns, et Mathilde Guénard nous expliquent comment les clowns de l’ASBL apportent un «moment de détente et de légèreté» aux personnes visitées.
Voilà déjà douze ans que les clowns hospitaliers de l’association l’Île aux clowns déambulent dans les couloirs des hôpitaux et des foyers du Grand-Duché pour apporter du sourire à leurs patients et résidents. Eric Anselin, leur directeur, accompagné de Mathilde Guénard, clown hospitalier depuis dix ans, reviennent sur les missions de cette ASBL pas comme les autres.
Pourquoi l’Île aux clowns a-t-elle été créée ?
Eric Anselin : L’ASBL a été créée en 2013 par cinq fondateurs : le groupe Servior, le réseau de la Croix-Rouge Help, la fondation Kriibskrank Kanner, KPMG et le cabinet d’avocats Clifford Chance. Ils se sont réunis pour créer une association sur la base d’une mission générale : aider les personnes dans une situation difficile en utilisant l’art du clown hospitalier.
C’est un métier sérieux et une association bien organisée. Même si le travail et la mission du clown, c’est de ne pas être sérieux vis-à-vis des bénéficiaires, de leur apporter un moment de joie, de détente et de légèreté. Nous avons une équipe professionnelle et formée. Nous avions neuf clowns jusqu’au 31 décembre. Actuellement, nous cherchons justement à en recruter trois ou quatre dans les prochains mois, pour revenir à une équipe d’une dizaine de clowns. Nous essayons toujours d’ajuster le nombre de clowns au nombre de sorties dans le mois. Surtout que nous avons plusieurs temps partiels et que certains ont d’autres activités à côté. Une fois recrutés, ils suivent une formation initiale de six mois pour apprendre les bases, puis des formations qui complètent.
Qu’est-ce qu’un clown hospitalier ?
Mathilde Guénard : Pour faire le clown hospitalier, il faut savoir faire le clown. Ce n’est pas une technique en soi, il n’y a pas de méthode, mais il y a un savoir-faire et un savoir-être. Il ne suffit pas de mettre un nez en plastique pour être un clown hospitalier. Il faut des aptitudes artistiques, des traits de caractère, savoir garder les bonnes distances, savoir jouer de soi-même… Il faut savoir connaître ses points forts.
Et puis, c’est l’art du clown au service de la rencontre. Les clowns hospitaliers se mettent au service des bénéficiaires. Il faut faire la distinction entre le clown hospitalier et le clown de spectacle ou de cirque. Ce dernier prépare son spectacle et le joue devant un public, alors que le clown hospitalier ne prépare rien. Il va à la rencontre des personnes et crée une interaction, un échange. Nous venons de l’extérieur et allons vers des personnes dans un contexte plutôt fermé. Nous tentons d’apporter une bouffée d’air frais venant de dehors. Cela demande une certaine écoute à l’égard du bénéficiaire, et aussi de notre binôme, et de l’empathie. Mais pour devenir clown hospitalier, il faut tout de même avoir une pratique régulière de clown « pur ». Le clown est là pour jouer.
Nous quittons la chambre au climax, quand l’atmosphère est magique
Quel a été votre volume d’activité en 2024 ?
E. A. : 2024 a été une grosse année avec un gros volume d’activité. Notre équipe de clowns a réalisé près de 600 sorties et a été au contact de plus de 15 000 personnes. Il faut préciser que nous n’avons pas une activité ponctuelle, mais bien une activité régulière. Nous avons des accords avec 35 structures différentes qui fixent des sorties régulières. C’est minimum une sortie par mois et ça peut aller jusqu’à deux sorties par semaine, selon les lieux d’intervention. Et chaque sortie mobilise deux clowns, ils travaillent toujours en binôme. Les sorties prennent entre deux et quatre heures, selon le nombre d’interventions dans la structure et le travail à réaliser.
Auprès de qui intervenez-vous ?
E. A. : Beaucoup de monde assimile le clown à l’enfant. Mais contrairement aux idées reçues, ils ne sont pas nos seuls bénéficiaires. Évidemment, les clowns voient beaucoup d’enfants, mais je dirais qu’ils représentent la moitié de leurs visites. L’autre moitié, ce sont des personnes âgées… Ou de grands enfants (il rit).
Nous rencontrons beaucoup d’enfants à l’hôpital, hospitalisés pour des maladies plus ou moins graves. Nous voyons également des enfants hébergés dans des foyers. Soit ceux placés par la justice car ils ont dû quitter le foyer familial en urgence, soit des réfugiés. Ce sont donc essentiellement des foyers tenus par la Croix Rouge ou par HUT. Nous intervenons également auprès d’adultes dans les hôpitaux, les maisons de retraite et de soins, les foyers de jour, les foyers d’accueil…
Comment l’ASBL est-elle financée ?
E. A. : Nous avons un fonctionnement spécifique. Les visites de clowns sont complètement gratuites pour les bénéficiaires. Nous ne faisons pas de profit sur les visites, ce qui nous donne la liberté de choisir là où intervenir, là où le besoin est important. Mais nos clowns sont des salariés. Alors, comment faisons-nous pour les financer? Nous faisons appel uniquement aux dons. Nous mettons en place plusieurs mécanismes qui nous permettent d’être visibles, de nous faire connaître et apprécier des donateurs potentiels. Beaucoup de particuliers nous connaissent et nous soutiennent, mais nous sommes également aidés par des entreprises, des fondations, des communes ou encore des écoles… Il y a plusieurs sources de dons.
Comment se déroule une intervention classique ?
M. G. : Nous arrivons le matin, habillés en civil. Nous voyons notre contact au sein de la structure pour faire le briefing sur le listing des bénéficiaires du jour et voir quels types d’interventions adopter. Une fois cela fait, nous nous changeons en clowns. Le nez de clown se met en dernier pour revêtir notre « masque » et nous mettre dans l’état de clown, et ainsi modifier notre personnalité et ne plus être reconnaissables. C’est un moyen de se protéger. Le clown et la personne civile sont vraiment deux personnalités distinctes.
Quand nous sommes prêts, nous déambulons et frappons aux portes, demandons l’autorisation d’entrer. Si nous pouvons le faire, nous commençons à jouer. Tout est du jeu, même la distance. Nous nous adaptons à la condition et aux demandes des bénéficiaires. Nous leur laissons de la place, le binôme de clowns forme un triangle avec eux. Puis nous quittons la chambre au climax, quand l’atmosphère est magique, avant que la bulle explose. C’est une question de timing et d’expérience.
Enfin, à la fin de la sortie, nous débriefons avec le personnel encadrant pour voir ce qui a bien ou moins bien fonctionné. Nous débriefons aussi de manière plus personnelle entre collègues. Le clown a un côté rebelle, c’est sûr, mais il est aussi impuissant parfois. Il peut aussi être spectateur ou même « poubelle » et récupérer l’agressivité des bénéficiaires. Il ne faut jamais juger la forme.
Quelle est la différence entre une intervention auprès d’un enfant et celle auprès d’un adulte ?
M. G. : Avec les enfants, le plus important, c’est le jeu. Alors qu’avec les adultes et les personnes âgées, c’est l’écoute. Quand nous visitons des enfants, nous y mettons une plus grande implication physique, dans la démarche par exemple. Nous interagissons avec eux, même sans . Nous jouons beaucoup avec les interactions entre les deux clowns, nous grossissons nos traits et nos différences et nous nous en moquons, surtout si les enfants font des remarques. Nous utilisons aussi des objets transitionnels, comme des marionnettes.
Avec une personne âgée, c’est beaucoup moins physique, même nos costumes sont différents. Le but est de raviver des souvenirs, au travers de musiques de leur jeunesse notamment. Ils demandent également plus de proximité physique, ils aiment nous toucher les mains et se sentir proches de nous. Nous essayons vraiment de les renvoyer à leur histoire.