Baptisée Karl-Marx-Stadt du temps de la RDA, puis devenue un foyer de violences néonazies, la ville de Chemnitz fait le pari de se réinventer en capitale européenne de la culture pour 2025.
Coup d’envoi des festivités samedi à Chemnitz, pour une année de projets culturels, expositions, concerts, spectacles de théâtre et de danse. La désignation de cette cité de l’est de l’Allemagne, située à une cinquantaine de kilomètres de la République tchèque, frappée par la désindustrialisation et le vieillissement de la population, a surpris nombre d’Allemands. «Chemnitz est une ville qui se trouve souvent dans l’ombre, qui est sous-estimée» comparée à ses grandes voisines, Dresde et Leipzig, aimants à touristes, admet son maire, Sven Schulze.
La ville saxonne de 250 000 habitants, où trône encore un buste géant du philosophe Karl Marx, «a connu de nombreux bouleversements au cours des dernières décennies», souligne l’élu de centre gauche. Une pudique référence, notamment, aux émeutes de 2018, quand des néonazis et hooligans ont fait la chasse aux migrants dans les rues après le meurtre d’un Allemand par un Syrien. Les images de ces évènements avaient choqué l’Allemagne et le monde entier. Le maire de Chemnitz est bien décidé à «braquer les projecteurs sur le potentiel invisible, sur les habitants» de la ville.
Le projet «Chemnitz 2025» n’en a pas moins provoqué des remous au sein du conseil municipal, où le parti d’extrême droite Alternativ für Deutschland (AfD), hostile aux dépenses en faveur de la culture, est devenue la première force depuis juin. Les groupes d’ultradroite Pro Chemnitz et Freie Sachsen (Saxe libre), également représentés au conseil, avaient demandé l’annulation du projet, le qualifiant de «délirant». L’argent devrait être dépensé afin de «rendre la ville agréable pour ses propres habitants, non pour attirer les touristes, les investisseurs et tous les autres», dit l’avocat Martin Kohlmann, l’un des fondateurs de Pro Chemnitz.
«Choc énorme»
Ancien centre de l’industrie textile au XIXe siècle, Chemnitz est devenue Karl-Marx-Stadt du temps de la RDA. Après la chute du mur de Berlin en 1989, elle est frappée par les faillites d’usines, le chômage massif et un exode de sa population, comme une grande partie de l’ancienne Allemagne communiste. Le sentiment de déclassement, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, a alimenté la xénophobie et l’extrémisme de droite, expliquant en partie les succès électoraux de l’AfD à l’est du pays. Ce parti hostile aux migrants a remporté à Chemnitz 26 % des voix lors des élections régionales de septembre pour le Land de Saxe. Il est donné en deuxième position des suffrages nationaux pour les législatives du 23 février en Allemagne.
Le programme «Chemnitz 2025» comprend des initiatives destinées à éclairer sur les dangers de l’extrémisme de droite. Comme un nouveau centre de documentation sur les crimes du groupe néonazi National Socialist Underground (NSU). Ses trois membres, qui ont assassiné neuf immigrés turcs et grecs entre 2000 et 2009, avaient un temps trouvé refuge dans la ville.
Anja Richter, directrice du musée et de la galerie d’art Gunzenhauser, juge essentiel de tourner la page du «choc énorme» des émeutes de 2018, qui avaient fait une vingtaine de blessés. Mais à l’approche des festivités, des groupes artistiques locaux ont été pris pour cible, subissant «pressions politiques, diffamations et menaces sur les réseaux sociaux» voire «perturbations d’évènements et agressions physiques», selon un rapport du gouvernement local.
Festivités et manifestation
Afin d’éviter les mauvaises rencontres aux visiteurs, cafés, restaurants et autres lieux soutenant les festivités arboreront des autocollants les signalant comme «alliés» de «Chemnitz 2025». «Nous faisons beaucoup pour que personne n’ait à craindre de venir», assure le maire.
Agnieszka Kubicka-Dzieduszycka animera un projet mettant en valeur les garages qui abritaient les pétaradantes voitures est-allemandes, les Trabant. Elle se dit «préoccupée par ce qui se passera le 18 janvier», alors qu’une manifestation de protestation de l’extrême droite est attendue au premier jour des festivités. Mais elle veut rester optimiste : «Je crois que nous serons plus nombreux.»
Deux villes jumelles situées de part et d’autre de la frontière entre la Slovénie et l’Italie, Nova Gorica côté slovène et Gorizia côté italien, sont également capitales européennes de la culture pour 2025.