Pour le parquet, Jeff vit dans l’instant et n’est pas en mesure intellectuellement d’avoir préparé le meurtre d’Eliane. Il aurait été débordé par des émotions longtemps refoulées.
Troisième jour du procès de Jeff, 36 ans. L’apprenti coiffeur a tué sa seule amie en la poignardant en plein cœur, après l’avoir étourdie en l’étranglant avec le câble d’un sèche-cheveux, dans la nuit du 12 mai 2023. Une énième dispute aurait dégénéré sur fond de stupéfiants et d’alcool. Ne parvenant pas à calmer la sexagénaire, le jeune homme a, de son propre aveu, «pété un câble».
Le passage à l’acte était impulsif, selon un expert judiciaire. Sans doute déclenché par la folie furieuse de la victime, la goutte de trop. Des zones d’ombre subsistent. Jeff n’explique pas tout, même s’il se souvient très bien des faits. Notamment comment il a eu l’idée de se servir d’un sèche-cheveux, et pourquoi il a poignardé Éliane s’il pensait l’avoir tuée en l’étranglant.
«Sous l’empire d’une colère irrépressible, il a voulu s’assurer qu’elle était bien morte», a estimé la représentante du ministère public, hier après-midi face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.
La magistrate a conclu à l’homicide volontaire sans préméditation et a demandé au tribunal de retenir l’article 71-1 du code pénal, compte tenu de l’altération des capacités de discernement établie par les experts psychiatres.
L’article stipule que le prévenu atteint de troubles mentaux au moment des faits qui lui sont reprochés, reste punissable, mais le tribunal doit tenir compte de cette circonstance au moment de déterminer la sanction. La représentante du parquet a ainsi requis à l’encontre du prévenu une peine de 18 ans de prison assortie d’un sursis probatoire . Elle a donc exclu l’assassinat, ce qui va dans le sens de la défense.
«Si la chambre criminelle parvient à la même conclusion, le jugement ira dans la bonne direction», conclut Me Baulisch, l’avocat de Jeff. «La peine requise est extrêmement élevée. Heureusement, le code pénal prévoit la possibilité d’un sursis probatoire qui permettrait à mon client d’obtenir de l’aide et que cette affaire trouve une issue favorable à tous. Au prévenu et à la société.»
Dans son réquisitoire, la représentante du parquet a évoqué «une relation hors du commun» entre deux êtres aux «tristes parcours de vie». «La victime était impulsive et n’avait pas la langue dans sa poche» et «Jeff pensait obtenir de la reconnaissance et de la considération de sa part en se soumettant» encore et encore, dans ce qui ressemblait à un cycle sans fin, jusqu’à ce qu’il finisse par exploser.
Pas un acte de sang-froid
«Sa gentillesse n’a jamais été récompensée», a lui aussi avancé Me Baulisch. Entre autres reproches, Éliane l’accusait d’être responsable du cancer de sa maman et de son décès. Malgré les paroles violentes et dévalorisantes, Jeff restait un indéfectible soutien pour la sexagénaire rencontrée en 2005. La veille, il avait expliqué qu’il lui pardonnerait ses mots dès qu’elle se serait excusée, et passerait à autre chose «parce qu’elle lui faisait pitié».
L’alcool et les médicaments consommés par Jeff pour endormir ses émotions n’ont plus fait leur effet la nuit du 12 mai 2023. Toutes les frustrations et les émotions négatives refoulées et accumulées ont fissuré les murs qu’il avait construits autour de lui, et son équilibre a basculé une deuxième fois, selon la magistrate. Cela avait déjà été le cas au décès de sa maman, deux ans auparavant.
L’expert psychiatre avait notamment évoqué une combinaison de facteurs de fragilisation (la relation ambivalente entretenue avec la victime, son retard intellectuel et le comportement abusif d’Éliane à son encontre) et l’absence de facteurs de protection comme des relations sociales et amicales avec d’autres que la victime.
Jeff n’est pas quelqu’un qui sait s’affirmer, qui «tape du poing sur la table», a décrit la magistrate. «Il n’a pas pu commettre son acte de sang-froid». Mais son acte «n’était pas non plus mûrement réfléchi». «Ce n’était pas un assassinat.» Elle répète ce qui a déjà été évoqué les jours précédents par les différents experts : le retard mental de Jeff l’empêcherait de se projeter dans l’avenir et de planifier quoi que ce soit. «Il vit l’instant présent.»
La fille aînée d’Éliane s’est portée partie civile et a réclamé 70 000 euros de préjudice pour perte d’un être cher, ainsi que physique et traumatique.
Le prononcé est fixé au 12 février.