Le record de 50 000 résidents étrangers inscrits pour voter aux dernières élections communales est loin de refléter leur participation réelle à la vie politique du pays, où ils sont quasi inexistants.
Dans sa dernière enquête, le Cefis – Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales qui décortique la vie politique et les phénomènes migratoires – s’est penché sur la participation électorale des étrangers aux élections communales de 2023.
On savait déjà que leur taux d’inscription avait atteint 19,8%, preuve de l’impact positif de l’abrogation récente de la condition de résidence de cinq ans, et que la barre des 50 000 inscrits avait été franchie pour la première fois, avec 50 084 votants représentant 162 nationalités différentes.
Une bonne nouvelle, avec un bémol cependant sur les plus jeunes : «Alors que 32% des plus de 65 ans se sont inscrits sur les listes, ce chiffre tombe à seulement 5% chez les 18-24 ans», écrit le Cefis.
«Ce qui souligne l’importance de renforcer nos efforts de sensibilisation auprès des jeunes adultes.»
Bilan positif pour «Je peux voter»
Du côté de la promotion entreprise par l’État, la campagne «Je peux voter» se reflète dans les chiffres, avec un taux d’inscription de 11,8% parmi les nouveaux arrivants.
Des résultats qui montrent que ce genre d’initiative peut peser au sein de groupes habituellement difficiles à mobiliser, estiment les auteurs.
En parallèle, l’inscription en ligne via la plateforme MyGuichet, lancée dès 2018, a considérablement facilité le processus d’enregistrement et représente plus de la moitié des inscriptions.
Luxembourg-ville en dessous de la moyenne
Dans le détail, c’est à Luxembourg, Lenningen, Kopstal, Strassen et Hesperange que la plus forte croissance des inscriptions a été enregistrée.
Mais dans la capitale, malgré cette augmentation exceptionnelle (+172%), le taux d’étrangers inscrits pour voter a plafonné à 15,9%, bien en-dessous de la moyenne nationale.
Le manque d’information pointé
Pour mieux comprendre les obstacles qui persistent sur le terrain, le Cefis a pu s’appuyer sur les retours de ses équipes de multiplicateurs envoyés au contact des électeurs potentiels.
Et parmi les problèmes rapportés, c’est le manque d’information qui ressort le plus : «Les résidents étrangers ne possèdent pas une connaissance minimale du système électoral et ignorent le rôle des communes.»
Le manque d’intérêt pour la politique luxembourgeoise, voire la politique en général, est aussi apparu.
Un sentiment d’être instrumentalisé
Certains résidents étrangers ont ainsi confié aux multiplicateurs leur sentiment d’être instrumentalisés par les partis politiques, qui ne s’intéresseraient à eux qu’en période électorale, tout comme leur crainte d’être obligés d’aller voter.
Enfin, beaucoup ont mis en avant le fait de ne pas savoir pour qui voter, pour justifier leur réticence à s’inscrire.
Un désintérêt déjà perçu par le Cefis dans des recherches précédentes, et qui peut être attribué, entre autres, à la maitrise limitée de la langue luxembourgeoise, qui rend les débats électoraux difficiles à suivre, tout comme la vie politique locale d’ailleurs.
«Un obstacle pour une plus grande inclusivité citoyenne» d’après les politologues cités par le Cefis. De quoi renforcer le sentiment de déconnexion des résidents étrangers, résume l’institut.
Seuls 21 élus communaux étrangers
Quant au poids électoral de ces nouveaux inscrits – c’est-à-dire la proportion d’étrangers inscrits par rapport à l’ensemble des électeurs – il atteint maintenant 15% à l’échelle nationale.
De quoi motiver davantage les partis politiques à se rapprocher pour de bon de cet électorat à l’avenir? Pas sûr.
Et si les étrangers sont aujourd’hui plus nombreux à s’exprimer, leur engagement en tant que candidat reste faible. Aux communales de 2023, à peine 10% se sont présentés, et au final, sur les 1 121 élus, seuls 21 sont étrangers.
Soit à peine 1,9% dans un pays où ils représentent pourtant la moitié de la population (47% au 1er janvier 2024).
Exclus de la vie politique nationale
Ce qui pose à nouveau la question du déficit démocratique grandissant et du manque de représentativité des élus, véritable serpent de mer au Grand-Duché depuis des années.
Tout comme leur participation aux législatives : sans la nationalité luxembourgeoise, il leur est toujours interdit de voter ou de se présenter comme candidat aux élections nationales, malgré les nombreuses voix qui s’élèvent pour le dénoncer.
Si le «non» au référendum de 2015 hante encore le débat sur le droit de vote des étrangers, avec tout juste 35% de la population ayant glissé un bulletin valide dans l’urne aux dernières législatives, les autorités ne vont pas pouvoir ignorer encore longtemps l’éléphant dans la pièce.