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Que faut-il entendre par «mendicité agressive»?


Le projet de loi décriminalise définitivement la mendicité simple, note le parquet général. (photo archives LQ)

Les autorités judiciaires se sont penchées sur le projet de loi visant à définir plus précisément les formes de mendicité à proscrire. Verdict : le texte proposé manque encore de clarté.

Après moult remous autour de l’interdiction de toute forme de mendicité dans certaines rues de Luxembourg, la ministre de la Justice, Elisabeth Margue, a décidé de procéder à une adaptation du code pénal, que le parquet général résume comme suit : «suppression des infractions liées à la mendicité et de vagabondage et leur remplacement par la seule incrimination de la mendicité dite agressive».

La nouvelle infraction proposée consiste en «le fait de solliciter, de manière agressive, sur la voie publique, dans les lieux et immeubles accessibles au public, ainsi qu’à l’entrée des immeubles servant à l’habitation, la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien». Elle est punie «d’un emprisonnement de quinze jours à deux ans et d’une amende de 251 euros à 3 000 euros ou de l’une de ces peines seulement».

La formulation dans le code pénal français, qui a servi d’inspiration, vise également le fait de mendier «en réunion (…), ou sous la menace d’un animal dangereux». Alors que ces comportements sont dénoncés par le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, et la députée-maire de Luxembourg, Lydie Polfer, ils n’ont pas trouvé leur place dans le texte déposé le 23 juillet par la ministre Elisabeth Margue.

«En incriminant la seule mendicité agressive, le projet de loi décriminalise (…) définitivement la mendicité (simple) et tire ainsi un trait définitif sur la question, qui a fait l’objet de nombreux débats et fait couler beaucoup d’encre, de savoir si cette dernière était encore punissable (…)», note toutefois le parquet général dans son avis sur le projet de loi déposé le 23 juillet.

À la limite de l’extorsion

«Tout l’enjeu est bien entendu de déterminer ce qu’il faut entendre par « mendicité agressive »», ajoute sans tarder le premier avocat général, Marc Harpes. Le texte mis sur la table manquerait ainsi de clarté, malgré des exemples livrés par la ministre de la Justice.

Seraient notamment à punir ces comportements, s’ils sont adoptés par un mendiant : le fait de bloquer ou d’entraver une personne sollicitée, le fait de la poursuivre lorsqu’elle a manifesté son refus de céder à la sollicitation, le fait de l’agripper ou de la toucher, le fait de crier sur elle ou encore le fait d’empêcher ou d’entraver la fermeture de la porte d’entrée d’un immeuble devant lequel le mendiant «agressif» est posté.

«Dans sa forme actuelle, le nouvel article ne se distingue pas de façon assez nette de l’article 470 du code pénal», punissant le crime d’extorsion, fait remarquer la Cour supérieure de justice. «L’expression « de manière agressive » est susceptible de prêter à confusion en ce qu’elle n’exclut pas explicitement des actes de menaces ou violences graves», renchérit le parquet de Luxembourg. «Quelle est la différence entre « les actes de contrainte »» – inscrits dans l’article punissant l’extorsion – «et le terme « de manière agressive »», s’interroge le parquet de Diekirch.

Le parquet général ne partage pas les doutes émis : le texte se distinguerait «nettement du crime d’extorsion (…). En effet, dès lors que la sollicitation est accompagnée de violences ou menaces, on dépasse la mendicité agressive et il y a extorsion ou tentative d’extorsion». Mais le tribunal d’arrondissement de Luxembourg constate que «le texte (…) ne permet nullement de délimiter la notion de « mendicité agressive » (…)». Il serait donc «difficile (…) d’asseoir une condamnation sur le texte».

De la prison d’office ?

La remarque émane de Thierry Hoscheit, le président de la Cour supérieure de justice : «Au regard de la précarité financière des personnes susceptibles de commettre ce type d’infraction, la mendicité agressive sera sanctionnée de fait par la prison.» Elles n’auraient, en effet, pas les moyens de payer les amendes prononcées par les tribunaux. Ceci impliquerait que ces personnes «pourraient être privées de leur liberté en raison de leur précarité plutôt qu’en raison de la gravité de leurs actes». Le magistrat propose donc de prévoir une gradation des peines pour les cas moins graves de mendicité agressive et un minimum de peine applicable en cas de récidive.