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Werner Herzog, plus fort que l’IA


Werner Herzog, 82 ans, prédit que les tentatives de l’intelligence artificielle de faire des films «vont toutes échouer». (photo AFP)

Réalisateur aux tournages dantesques, homme des paris les plus fous, Werner Herzog n’a peur de rien. Surtout pas de l’intelligence artificielle, «trop stupide» pour faire de bons films, confie-t-il en marge d’une rétrospective de son œuvre à Paris.

Âgé de 82 ans, le cinéaste allemand Werner Herzog a une actualité chargée : il présentait jusqu’à dimanche, au Centre Pompidou à Paris, une rétrospective de ses films les plus récents et vient de publier ses mémoires (Chacun pour soi et Dieu pour tous, aux éditions Séguier), tandis que ressort dans les salles françaises son documentaire réalisé à partir des archives d’un célèbre couple de vulcanologues, The Fire Within : A Requiem for Katia and Maurice Krafft, à l’origine diffusé sur ARTE, qui l’a produit, en 2022.

Et à l’inverse de nombre de ses contemporains, le réalisateur des mythiques Aguirre (1972), tourné périlleusement dans la jungle avec son acteur fétiche, Klaus Kinski, ou Fitzcarraldo (1982), pour lequel il fit hisser un bateau de 300 tonnes au-dessus d’une montagne, ne pense pas que l’intelligence artificielle changera le monde du cinéma.

«C’est un outil fantastique, mais pour des agents immobiliers. Vous êtes à Paris, et on vous propose une maison à Hawaï, on vous fait visiter, vous voyez derrière moi la cuisine, par la fenêtre à droite l’océan, à gauche un peu de jungle. Ça s’y prête totalement. Mais ce n’est pas un outil pour raconter des histoires», lâche-t-il.

«L’intelligence artificielle tente d’écrire des scénarios. Elle peut le faire. Si ce sont des stéréotypes, elle peut y arriver. Ou même faire des films, mais elle n’arrivera jamais à faire des films aussi bons que les miens! L’intelligence artificielle est trop stupide pour ça.» Pourquoi? «N’attendez pas que je vous explique, c’est compliqué!», coupe le réalisateur, avant de prédire : «Il y aura des tentatives, mais elles vont toutes échouer.»

Excentrique et génial pour les uns, complètement fou pour d’autres, Werner Herzog est l’un des plus grands noms du «nouveau cinéma allemand», un touche-à-tout qui vit depuis des années aux États-Unis. Inquiet des dégâts de la société de consommation sur l’environnement, celui qui est connu pour avoir mangé ses chaussures pour un pari raté revendique n’en utiliser «littéralement plus qu’une seule paire», des chaussures de sport grises qu’il porte lors de l’interview. «Ce n’est pas complètement vrai, j’ai aussi des bottes de montagne, pour les terrains pierreux», reconnaît-il. «Et une paire de sandales pour la jungle!»

«Devoir de cinéaste»

À Paris, il a montré aussi bien un entretien au long cours avec l’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev (Meeting Gorbachev, 2018), décédé en 2022, que certains de ses derniers films de fiction, comme Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans (2009), avec Nicolas Cage, ou My Son, My Son, What Have Ye Done? (2009), avec Michael Shannon.

«C’est formidable que le public voie mes derniers films. Parfois les gens pensent que je n’ai plus jamais fait de film après Fitzcarraldo, mais j’en ai fait au moins 27 depuis!», s’exclame le cinéaste, connu pour sa quête acharnée d’images inédites.

Je ne me préoccupe pas tellement de la postérité. Il n’y a ni vanité ni ambition chez moi

Au tournant des années 2000, le cinéaste, qui s’est affranchi depuis toujours des genres, des formats et des façons de raconter ses histoires, a multiplié les documentaires, sans jamais trahir son goût pour les sujets hors normes et les techniques nouvelles. Il a analysé le système carcéral américain (Into the Abyss, 2011; On Death Row, 2012), a foulé le sol de volcans encore actifs à travers le monde (Into the Inferno, 2016) et des coins les plus reculés du monde (Ten Thousand Years Older, 2002; Happy People : A Year in the Taiga, 2010), a étudié les météorites (Fireball : Visitors from Darker Worlds, 2020)… et s’intéressait déjà il y a près de dix ans à l’impact de l’intelligence artificielle (Lo and Behold, Reveries of the Connected World, 2016).

Le film Cave of Forgotten Dreams (2010), tourné en 3D sur la découverte de la grotte Chauvet – découverte il y a 30 ans cette année, le 18 décembre 1994 –, lui tient particulièrement à cœur. «C’est là que s’est éveillée l’âme humaine, Homo sapiens, Cro-Magnon. Nous sommes les mêmes, nous créons des images, nous avons la musique, ils avaient aussi des instruments, des rituels, des funérailles…»

Comme les humains d’il y a 30 000 ans, Herzog souhaite-t-il laisser une trace? «Je ne me préoccupe pas tellement de la postérité. Il n’y a ni vanité ni ambition chez moi», répond-il. Convaincu par sa famille que ses films appartenaient autant aux cinéphiles qu’à lui-même, il a cependant récemment créé une fondation chargée de les conserver. «Cela durera bien après ma propre existence, et je l’ai accepté. Comme une part de mon devoir de cinéaste.»