La crise économique qui touche le pays commence à faire beaucoup de victimes en Lorraine où plusieurs fermetures et plans sociaux ont été annoncés dans des secteurs très divers. Ils laissent sur le carreau des salariés souvent âgés, qui ont tout donné à leur entreprise. Nous les avons rencontrés.
Sur son uniforme rouge, il a recouvert d’un gros morceau de scotch noir le logo de l’enseigne Auchan. Et quand on lui demande son prénom, il préfère donner son matricule : «Pour cette entreprise, je ne suis plus qu’un numéro. J’ai passé trente-sept années à me battre pour elle et elle me licencie à 56 ans sans aucune reconnaissance. Plus jamais je ne travaillerai pour eux. Ils ont gagné un pognon monstre sur notre dos et nous jettent comme des moins que rien.»
Le 5 novembre, comme ses 72 collègues, il a appris avec stupéfaction la fermeture le 17 mai 2025 de son hypermarché, sacrifié sur l’autel de la rentabilité. Un choc : «C’était ma deuxième famille. Après l’armée, je suis allé à l’ANPE et on m’a dit qu’il y avait du boulot là. À l’époque, cela s’appelait Mammouth. À un moment, on était une dizaine de bouchers. Aujourd’hui, je suis le seul.» Et il sera le dernier.
«On a pleuré en apprenant la nouvelle. Ici, les trois quarts du personnel ont plus de 50 ans. Il y avait de l’entraide, de la solidarité. On travaille ensemble depuis tant d’années. Tout le monde se tutoie, même avec la direction. Jamais on ne retrouvera cela ailleurs», regrettent ses collègues du rayon frais. La colère n’est pas loin. «Tout le monde se fout de nous», lâche un autre ancien. Tous ont vu pendant des années leur lieu de travail se dégrader, sans qu’aucun investissement ne soit fait. Les projets qu’on leur a fait miroiter n’ont jamais vu le jour.
L’hypermarché, qui a compté jusqu’à plus de 280 salariés, s’est peu à peu mis à vivre au rythme d’un supermarché de quartier, dans cette zone sensible de Woippy Saint-Éloy qui n’attire pas les clients : «On nous a laissés mourir à petit feu pendant que le paquet était mis sur Auchan Semécourt, à une vingtaine de kilomètres.»
Et maintenant ?
Ils en veulent à leur direction nationale, qui n’est même pas passée les voir. «Je ne suis là que depuis quatre ans et j’ai assisté à cinq ou six changements de direction. Je ne connais même pas le nom de l’actuel dirigeant. Tous arrivent avec une nouvelle vision, un nouveau projet, puis disparaissent au bout de six mois. On ne comprend rien à leur stratégie», glisse cet employé de moins de 40 ans. Le propriétaire, le groupe Mulliez, est aussi dans le viseur pour avoir distribué grassement des dividendes sur son enseigne Decathlon en même temps qu’il mène un plan social destructeur chez Auchan. Terrible loi du marché.
«C’est notre magasin», résume ce syndicaliste pour expliquer l’attachement de salariés qui s’y sont toujours sentis bien traités. Jusqu’à ce 5 novembre. Sur les réseaux sociaux, les salariés ont posté une vidéo, sur la chanson Et maintenant de Gilbert Bécaud. On les y voit tenir des affiches sur lesquelles ils déclinent leur âge et leur ancienneté.
«Pour l’instant, l’avenir est flou. Jamais je n’aurais pensé que cela finirait comme ça. Je vais faire un bilan de compétences», explique cette salariée de 56 ans. Elle n’a connu que cet employeur et dit consulter le psychologue mis à sa disposition : «C’est trop de stress.» Le boucher, lui, sait qu’il retrouvera du travail : «Mais tout recommencer à zéro, à 56 ans, c’est rude.» Une de ses collègues préfère se focaliser sur le présent : «Après tout le boulot qu’on a fait, j’espère au moins qu’on va partir dans de bonnes conditions.»
Philippe Marque
(Le Républicain lorrain)