Chaque automne, l’Europe dresse l’inventaire des enjeux sociaux et économiques auxquels les États membres doivent faire face. Pour la première fois de son histoire, le Luxembourg figure parmi les pays placés sous surveillance.
L’Europe is watching you! Le Luxembourg vient de franchir un nouveau cap en entrant dans le top 10 des pays «sous surveillance» par la Commission européenne, aux côtés de la Bulgarie, l’Espagne, l’Italie, la Lituanie, la Hongrie, la Roumanie, la Grèce et la Croatie.
Ce classement est réalisé tous les automnes et permet de dresser l’inventaire des enjeux sociaux et économiques auxquels les États membres doivent faire face. Les dix pays pointés du doigt seront soumis prochainement à une analyse détaillée de la Commission européenne, précise la Chambre des salariés.
Si le Luxembourg intègre ce triste classement, c’est tout simplement parce que l’Europe a jugé que des «risques pour la convergence sociale ascendante» ont été identifiés… On vous explique.
Ce qu’il faut savoir, c’est que cette situation concerne tout d’abord l’année 2023. Selon le rapport conjoint sur l’emploi (JER), la situation sociale du pays s’est significativement dégradée cette année-là, notamment dans les domaines du coût du logement et de la pauvreté.
Une analyse partagée d’ailleurs par les acteurs du terrain : Alexandra Oxacelay, directrice de la Stëmm vun der Strooss observait déjà l’an passé une «paupérisation du Luxembourg», de par la fréquentation dans ses restaurants sociaux. La part des personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale a atteint 21,4 % au Luxembourg en 2023, un niveau légèrement supérieur à la moyenne européenne (21,3 %).
Une tendance encore plus marquée pour les enfants, avec un taux de 26,1 % contre 24,8 % dans l’UE. L’Unicef tirait déjà la sonnette d’alarme à la fin de l’année dernière en affirmant que près d’un enfant sur quatre est menacé par la pauvreté au Grand-Duché, soit environ 30 000 enfants.
Des évolutions jugées «préoccupantes» par l’UE, et qui s’expliqueraient, selon elle, par la hausse des prix, qui a amplifié la «privation matérielle et sociale» mais aussi par une pauvreté en milieu professionnel «toujours élevée». Le Luxembourg demeure en effet depuis plusieurs années le «champion» de la pauvreté au travail. La Chambre des salariés le disait très explicitement : «(…) Près d’un salarié sur sept dispose de revenus qui ne lui permettent pas de dépasser le seuil de risque de pauvreté.»
Surcharge liée au logement
Le coût du logement demeure un «problème structurel majeur», pesant lourdement sur les budgets des ménages. En 2023, 11,5 % des résidents luxembourgeois subissaient une surcharge liée au logement, contre 8,8 % pour la moyenne européenne. Au Luxembourg, ce taux atteint 29,3 % pour les personnes seules avec enfants contre 16,6 % pour l’ensemble de l’UE.
Le taux de surcharge des coûts liés au logement concerne également plus d’un adulte seul sur quatre de moins 65 ans (27,6 %) et 23,4 % des personnes seules tous âges confondus, ce qui montre clairement l’ampleur du problème.
Comme mentionné dans le rapport, ce phénomène s’explique par une combinaison de facteurs : une croissance démographique rapide, une offre de logements limitée et des disparités de revenus importantes.
Un chômage à surveiller
Selon le rapport JER, le marché du travail a nettement perdu de son dynamisme en 2023. Le taux d’emploi s’est maintenu à 74,8 %, légèrement en dessous de la moyenne européenne, tandis que le taux de chômage a atteint 5,2 %, après deux années consécutives de recul modéré Ce dernier est désormais jugé «à surveiller».
Le chômage de longue durée a également progressé, atteignant 1,7 % (+0,4 point par rapport à l’année précédente). Les inégalités sur le marché du travail se creusent également : l’écart d’emploi entre les personnes handicapées et le reste de la population a bondi de 15,2 points en 2023, atteignant 23,7 points contre 21,5 dans l’UE.
La situation des jeunes NEET (ni en emploi, ni en éducation, ni en formation) reste relativement stable à 8,5 %, mais nécessite une vigilance accrue selon les analyses menées au niveau européen.
Les compétences numériques en recul
Les compétences numériques, essentielles à la double transition écologique et numérique, posent un défi croissant. En 2021, 63,8 % des adultes possédaient des compétences numériques de base ou avancées, un pourcentage qui est tombé à 60,1 % en 2023, une détérioration marquée alors que la plupart des États membres de l’UE enregistrent des progrès.
Bien que ce chiffre reste supérieur à la moyenne européenne (55,6 %), cette tendance négative «doit aussi être prise au sérieux et faire l’objet d’une analyse approfondie», juge le JER.
Huit indicateurs «critiques»
Bien que le Luxembourg enregistre de bons résultats en matière de garde d’enfants ou de décrochage scolaire par exemple, le pays ne se trouve pas en si bonne posture, puisque sur 17 indicateurs du tableau de bord social dressé par l’UE, pas moins de huit indicateurs clés sont jugés «critiques» ou «à surveiller».