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Luxembourg : l’affaire Pelicot doit «ouvrir les yeux de la magistrature»


La Voix des Survivant(e)s émet des propositions de réforme de la législation sur les violences physiques, psychologiques et sexuelles. (photo archives LQ/Fabrizio Pizzolante)

Les victimes de viols et d’abus au Luxembourg ont l’impression de ne pas être entendues. Le procès retentissant de Dominique Pelicot pourrait-il leur donner un peu d’espoir ?

Gisèle Pelicot est devenue le «visage du courage» pour la presse internationale qui a suivi le procès de son ex-mari, Dominique Pelicot, condamné hier à 20 ans de réclusion criminelle pour l’avoir violée et fait violer par des dizaines d’inconnus dans le sud-est de la France.

La ministre de l’Égalité des genres et de la Diversité, Yuriko Backes (DP), ne veut certes pas commenter les procédures et décisions juridiques, «en particulier dans d’autres pays». Elle insiste, cependant, pour être «très claire» sur le sujet.

«Notre société doit avoir une tolérance zéro à l’égard de la violence sexuelle. Je trouve extrêmement courageux que des victimes qui ont déjà tant souffert osent en parler. Oui, la honte doit changer de camp. Et je vous assure que notre ministère travaille d’arrache-pied pour que les victimes de violences basées sur le genre reçoivent l’aide dont elles ont besoin. Nous prenons la prévention de la violence et du harcèlement très au sérieux et nous défendons une société fondée sur l’égalité et la diversité à plus grande échelle», déclare-t-elle au Quotidien.

Vice-présidente de l’association La voix des survivant(e)s, Marie-Laure Rolland est admirative face à «l’incroyable démarche» de Gisèle Pelicot. «Ce qu’il y a d’extraordinaire dans son cas, c’est qu’elle a parlé, elle a rendu son procès public.» Mais en dépit des vidéos produites comme preuves au procès, «les accusés ont fait planer le doute sur la question de savoir si elle était consentante ou pas».

Lire notre édito :
Justice pour Gisèle

Au Luxembourg, des victimes pas entendues

La publicité de ce procès, voulue par la victime, a montré «l’ampleur de l’horreur et la banalité du mal aussi», observe Marie-Laure Rolland. Gisèle Pelicot a surmonté la honte que beaucoup de victimes ressentent.

«Elle a obligé les gens à ouvrir les yeux», dit-elle, en ajoutant que «80 % des abus se passent dans les familles» et «qu’une victime, dès lors qu’elle essaie de se défendre, de faire valoir ses droits, elle sait qu’elle peut faire exploser la famille».

Elle a quelques exemples, ici, au Luxembourg, de femmes abusées qui ont osé parler et qui se sont retrouvées complètement seules.

L’association La voix des survivant(e)s salue le courage de Gisèle Pelicot et espère surtout que ce procès «ouvrira aussi les yeux au niveau de la magistrature, parce qu’à Luxembourg, pour l’instant, on a quand même énormément de témoignages de victimes qui ont l’impression de ne pas être entendues».

«99 % des viols restent impunis»

C’est d’ailleurs la raison qui a poussé l’association à introduire une pétition qui a déjà recueilli près de 5 000 signatures. Les propositions avancées par La voix des survivant(e)s visent à mieux prévenir les violences de genre, à mettre fin à l’impunité ressentie et à renforcer la protection des victimes.

«L’objectif est de répondre aux dysfonctionnements dont nous avons été témoins ou victimes», explique la pétitionnaire Ana Pinto, la présidente de l’association, dans sa motivation.

D’après le Statec, 20 % des femmes et 17 % des hommes ont été victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles en 2020. Une plainte sur trois a été classée sans suite, alors que 30 000 femmes au Luxembourg ont été victimes d’un viol ou d’une tentative de viol dans leur vie. «On estime que 99 % des viols restent impunis», conclut la pétitionnaire.

Le camp de la honte

Marie-Laure Rolland espère vraiment que les propositions de l’association vont être entendues. «Actuellement, les victimes restent dans leur silence parce qu’elles désespèrent de la justice au Luxembourg.» Pour elle, «il y a trop de trous dans la raquette, la législation n’est pas suffisamment protectrice pour les victimes».

Elle se demande comment le procès Pelicot se serait déroulé au Luxembourg. «Déjà, le nom Pelicot, on ne l’aurait jamais entendu, on aurait lu dans la presse Monsieur X et Madame Y. Le procès aurait-il pu avoir lieu en audience publique ? Comment cette affaire aurait-elle été jugée ?»

Si la honte a changé de camp depuis le procès de Dominique Pelicot, Marie-Laure Rolland ne veut pas pour autant que les agresseurs s’enferment dans le silence. «Parfois des auteurs sont tellement dans la honte eux-mêmes qu’ils ne pourront pas aller demander de l’aide, et je pense en particulier aux jeunes, car aujourd’hui la majorité des abus sur les mineurs sont commis par des mineurs», renseigne-t-elle. Il ne sert à rien de leur dire qu’ils devraient avoir honte, il faut au contraire les aider «avant qu’il ne soit trop tard».

«Il est clair que la honte doit changer de camp d’une certaine manière, mais enfermer les auteurs dans la honte, ce n’est pas une manière non plus de traiter le problème. La honte enferme dans le silence, ce qui n’est bon ni pour l’un ni pour l’autre», estime Marie-Laure Rolland.

Quant au procès Pelicot, elle ne pense pas qu’il va révolutionner la manière dont les affaires de viol sont traitées au Luxembourg. «Pas en l’état actuel des choses», conclut-elle.

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