À L’ÉTRANGER Alors que certains joueurs appellent à une grève devant les cadences infernales imposées par les calendriers UEFA et FIFA, Anthony Moris a, lui, une vision assez différente.
Il lui reste deux rencontres à honorer de sa présence avant le Nouvel An, y compris un au lendemain de Noël. Anthony Moris, à l’inverse de ceux qui fustigent les cadences infernales du football mondial, appelle à prendre conscience de la chance que représente le fait de jouer tous les trois jours.
Alors que le Français de Barcelone Jules Koundé a été officieusement désigné joueur ayant disputé le plus de rencontres sur l’année 2024 (69) et que des joueurs continuent de se plaindre de cadences infernales à cause des calendriers, on se demandait ce que le gardien des Rout Léiwen, qui pointe à 63 et devrait finir l’année à 65, pense de tout ça.
Anthony Moris : J’ai toujours un peu de mal avec les joueurs qui se plaignent du calendrier. Après tout, quand tu joues tous les trois jours, tu ne t’entraînes presque plus. Le lendemain du match, tu fais un décrassage, le surlendemain, une séance de 45 minutes… Puis tu rejoues. C’est ce que les joueurs aiment, non, jouer des matches? Parce qu’après tout, quand tu fais une semaine normale d’entraînement, le troisième jour, tu essayes, justement, lors de ta séance, de te rapprocher de l’intensité d’un match. Dans ce cas-là, moi je préfère carrément jouer! Donc, le problème de ces calendriers, ce n’est pas physique, c’est surtout mental. Parce que physiquement, bof…
Vous dites ça parce que vous êtes gardien, non? Pour un joueur de champ, ce n’est pas la même limonade…
Mes coéquipiers de l’Union ne sont pas si usés. Quand tu as goûté à l’Europe et que tu joues tous les trois jours, ton corps est habitué à ce rythme. C’est ça : cela devient une habitude. J’ai discuté avec d’anciens coéquipiers qui évoluent désormais dans des clubs qui ne disputent pas la Coupe d’Europe, et ils me l’ont confirmé : la semaine, ils s’ennuient. Et ils regrettent leur ancien rythme.
Depuis les tribunes, Anthony Moris a assisté à une drôle d’histoire dans les buts du Grand-Duché, qui est sa chasse gardée exclusive depuis l’arrêt de Jonathan Joubert. Il y a d’abord les deux performances de Tiago Pereira à seulement 18 ans, qui lui ont plu face à la Bulgarie (0-1) et l’Irlande du Nord (2-2). «Il s’est très bien débrouillé et son langage corporel fait qu’on sent qu’il a confiance en lui et que les défenseurs ont confiance en lui.»
Mais est-ce l’information principal du dernier mois de compétition de l’année 2024 pour le Grand-Duché. Presque pas, à ses yeux, puisqu’il a perdu un compagnon de route en la personne de Ralph Schon. Le Wiltzois, même âge que lui (34 ans), a annoncé sa retraite, en étant fêté par ses coéquipiers, son staff et tout un stade. Ça a remué tout le monde, y compris Moris : «Ça me chagrine qu’il arrête. C’est un garçon qui a toujours été très respectueux de ses engagements. Il est toujours venu avec une certaine fraîcheur. Il venait à chaque fois comme si c’était la première. Ces joueurs-là sont précieux. J’espère que les plus jeunes prendront exemple sur lui.»
Donc, usure mentale plus que physique ?
Moi pour qui c’est devenu un quotidien de jouer tous les trois jours, oui, je le reconnais, c’est dur mentalement. Parce qu’un match se prépare longtemps en amont. C’est aller au lit tôt, c’est ne pas aller au restaurant avec les amis, ne pas boire d’alcool, demander des sacrifices à la famille. Et ça, c’est usant.
Et si on parlait de vos vacances, dans ces conditions ?
Là, par exemple, je vais avoir du 27 décembre au 2 janvier, sachant que cet été, j’ai eu deux semaines.
C’est peu.
Oui, c’est peu, mais je le vois peut-être différemment, parce que ma vraie carrière, à moi, a commencé plus tard. Alors, pour moi, c’est positif.
Mais alors comment avez-vous accueilli les prises de position d’un joueur comme Rodri, qui plaide pour un allègement des calendriers, quitte à faire une grève ?
La grande différence entre certains joueurs et d’autres tient à ce qu’ils sont internationaux ou pas. Moi, en général, quand je rejoins le Luxembourg pour jouer avec les Rout Léiwen, je sais qu’en général mes coéquipiers reçoivent trois à quatre jours de congés pour couper. Ils prennent l’avion et partent en vacances ou se ressourcent en famille. Pendant ce temps, nous, on enchaîne. Après, à partir du moment où tu prends de l’âge, ton corps est une machine que tu dois absolument faire tourner tout le temps. Est-ce que ce serait bénéfique pour moi de m’arrêter un mois plutôt que deux semaines seulement en été? Je n’en suis pas persuadé. Je préfère que mon corps soit en activité. Après… une grève… Je respecte les opinions de chacun, mais pour moi, footballeur, c’est un métier et je dirais que certains aiment plus leur job que d’autres. Ces derniers n’ont parfois pas le mental et semblent usés. Après, quand j’entends un Rodri, OK, lui, en plus, il joue l’Euro, le Mondial… Mais bon, le jeu en vaut la chandelle : nos carrières sont courtes et nous gagnons de belles sommes d’argent. Je peux comprendre leurs critiques, mais dans les grands clubs, les effectifs sont aussi construits en conséquence, de telle sorte qu’on peut instaurer un turn-over.
Donc, jouer plus de 60 matches par saison, c’est tout à fait gérable ?
Oui, mais chaque saison, je me remets en question par rapport au travail invisible. L’alimentation, les heures de sommeil… En début de saison, cet été, j’ai perdu quatre kilos en faisant appel à un nutritionniste pour supprimer notamment le gluten, dans les pâtes, le pain… Quatre kilos, c’est énorme. Et j’en ressens les bienfaits. Sur de vieux genoux déjà usés, sachant que ce corps, déjà très sollicité, il faut le faire sauter, rouler, retomber…
On dirait que vous êtes presque à contre-courant de beaucoup de discours actuels? Que vous auriez été ravi d’être l’homme qui a joué le plus de matches en 2024…
Je m’étais fixé comme objectif de n’en louper aucun. Or j’ai dû faire l’impasse sur les rencontres de la sélection en novembre et cela me fait râler. Pourtant, je sais quand je peux forcer mon corps. Et aussi quand ça risque de craquer…
Il est l’un des grands amis de Maxime Chanot depuis leurs arrivées respectives chez les Rout Léiwen. Aussi a-t-il été forcément saisi, comme tous ses coéquipiers, par la violence des échanges entre le défenseur central et le sélectionneur, lors d’une longue passe d’armes entre les deux hommes, le joueur mettant en cause le professionnalisme du technicien, le coach affirmant qu’il allait désormais se passer de son homme de base en défense.
Tous les deux en ont-ils parlé ? Moris a-t-il tenté d’apaiser les choses? Il a surtout assumé sa volonté de ne pas s’en mêler. «Je lui ai dit qu’il y avait des choses sur lesquelles il valait mieux ne pas s’épancher. Je lui ai dit que je préférais rester en dehors de tout ça, que tous deux sont de grands garçons et que ça les regarde. Mais ne plus avoir Maxime Chanot, c’est une perte pour le Grand-Duché. C’est la vie…»