Deux hommes sont accusés d’abus de faiblesse. Ils n’ont rien à se reprocher, selon eux, pas même d’avoir voulu conclure l’affaire du siècle.
L’opportunité était trop belle : une maison à 200 000 euros à Luxembourg-Neudorf. Flairant la bonne affaire, José et Toni ont sauté sur l’occasion. Ils auraient mieux fait de s’abstenir. Un début de démence a été décelé chez le vendeur et les deux amis sont accusés d’abus de faiblesse. Accusation qu’ils ont réfutée énergiquement face à la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ne se sentant coupables d’aucune faute.
Heinrich, le propriétaire âgé de 78 ans à l’époque des faits, voulait à tout prix vendre sa maison pour 200 000 euros à José. Ce dernier, n’ayant pas de liquidités disponibles, a proposé l’affaire à son ami qui travaille dans l’immobilier. Un compromis de vente est signé par les trois hommes et une avance de 50 000 euros est versée à Heinrich. Quelques jours plus tard, le propriétaire fait marche arrière et rend l’avance. «Pour moi, tout était fini», a indiqué José, surpris de découvrir la police à sa porte ainsi que le chef d’accusation. «Nous n’avons jamais forcé Heinrich à vendre.»
Des personnages frisant la malhonnêteté
Mis bout à bout, les éléments du dossier conduisent pourtant à envisager le contraire, selon le premier substitut. Le prix de vente extrêmement bas aurait dû interpeller le duo et l’amener à davantage de prudence. S’y ajoutent le compromis de vente rédigé en langue française, langue que le propriétaire ne maîtrise pas, la pénalité de 30 % en cas de retrait, le changement de notaire après qu’un premier eut refusé de s’occuper du dossier, la sommation de passer acte intervenue dans les jours qui ont suivi la signature du compromis et le fait que l’affaire est toujours pendante au civil pour rompre le compromis de vente ou le faire exécuter.
Tout cela démontre un certain acharnement de la part de Toni et de José, ainsi que ce qui ressemble à des moyens d’intimidation ou de pression et peut être aussi à un abus de faiblesse. Et ce, même si José n’a pas l’air d’avoir eu connaissance des procédures et de leur portée juridique. Il a notamment signé le compromis sachant qu’il n’allait pas verser un centime. À la barre, Toni et José ont du mal à se dépêtrer et passent au mieux pour des benêts, au pire pour des personnages frisant la malhonnêteté. Le premier substitut du procureur les accuse d’avoir voulu «plumer» le retraité en essayant de lui enlever son principal moyen de subsistance.
Vol patrimonial
Pour le magistrat, Heinrich, dont la santé mentale fluctuait, aurait accepté de signer le compromis de vente dans un moment de faiblesse. Il a réalisé son erreur quelques jours plus tard dans un moment plus lucide et a décidé d’annuler la transaction, avant de porter plainte, voyant que la partie adverse ne voulait rien lâcher. «Ils espèrent encore pouvoir en profiter», indique le représentant du parquet avant de requérir une peine de trois ans de prison et de s’opposer à un sursis intégral. «La loi existe pour protéger les personnes vulnérables. Toni et José ne font preuve d’aucun repentir.»
Des conclusions démenties par l’avocate de la défense. Elle insiste : ses clients n’ont jamais eu l’intention de profiter de leur victime présumée, et ce, d’autant plus qu’ils n’ont, lors de leurs brefs contacts, jamais eu l’impression qu’elle n’avait plus toute sa tête. Après avoir fait valoir la liberté contractuelle, l’avocate critique l’expertise psychologique, arguant que «tout ce qui y figure n’est pas à graver dans le marbre».
«Le parquet veut statuer un exemple», interpelle-t-elle le tribunal, qu’elle prie d’acquitter ses clients «faute de preuves factuelles et de témoins neutres». «Il s’agit d’un vol patrimonial», rétorque le substitut. «Le fait de vendre une maison à un tel prix est un signe en soi que quelque chose ne va pas. Si vous ne punissez pas ces deux-là, ils recommenceront.»
La notaire Karine Reuter est impliquée dans un volet de l’affaire. Il lui est reproché de ne pas avoir effectué de déclaration de soupçon à la cellule de renseignement financier après que le dossier lui a été confié, ainsi que d’avoir réalisé la sommation de passer acte. Le premier substitut requiert une amende de 20 000 euros à son encontre.