Spécialisée en portraits d’animaux, la photographe Luisa Maria Stagno vient d’ouvrir son studio au 1535° à Differdange, et mène en parallèle plusieurs projets consacrés aux pigeons.
Alors que, petite, elle chipait déjà l’appareil compact de sa tante pour capturer les images de sa Colombie natale, à 34 ans, cette jeune artiste, luxembourgeoise d’adoption, a désormais son propre studio de photographie.
Si elle a fini par faire de sa passion pour les animaux domestiques et sauvages son métier, elle a mis du temps à embrasser une carrière artistique.
À l’occasion de la sortie de son livre «La fascinante histoire du pigeon de rue» publié en novembre, Luisa Maria Stagno partage avec nous un café – colombien, quoi d’autre? – son parcours atypique et les projets qui bouillonnent dans sa tête.
D’où vient votre lien si fort avec les animaux ?
Luisa Maria Stagno : J’ai grandi en Colombie entourée d’animaux, poules, chiens, chats, canaris. Là-bas, il y a beaucoup de chiens abandonnés dans les rues.
Je ne sortais jamais sans un paquet de croquettes dans mon sac à dos. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours ressenti cette sensibilité qui me rapprochait des animaux.
Et votre passion pour la photo ?
Ma tante possédait un petit Canon automatique et adorait prendre des photos de la famille. C’était l’époque de l’argentique, il y avait encore des pellicules qu’il fallait développer.
Moi, je m’arrangeais pour l’emprunter et elle a souvent eu des surprises au tirage (elle rit), si bien qu’elle a fini par le mettre sous clé!
Pour autant, vous ne pensiez pas en faire votre métier.
Non, parce que pour moi, la voie artistique représentait l’instabilité financière. J’ai donc entamé des études plus classiques, dans la traduction.
J’ai obtenu un bachelor et commencé à donner des cours à l’université de Nariño, mais je voulais partir en Europe pour mon master. C’est comme ça que je suis arrivée à Paris, puis en Lorraine.
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Cependant, je me suis vite ennuyée, j’avais envie d’autre chose. J’ai alors commencé une école de management et travaillé pendant deux ans dans le domaine des marques de luxe. Je gérais leur image.
Mais c’était en totale contradiction avec mes valeurs. Quand il a fallu promouvoir de la fourrure, j’ai dit stop.
C’est là que la photo est revenue dans votre vie ?
Oui, grâce à mon mari, que j’ai rencontré pendant mes études et qui est Luxembourgeois. C’est lui qui m’a poussée dans cette voie qui m’attirait tant sans jamais oser me lancer.
Il m’a offert un appareil professionnel et à 28 ans, je me suis inscrite dans une école d’art, dont je suis sortie diplômée en photographie trois ans plus tard.
Entre-temps, j’avais noué des contacts avec l’Asile pour animaux et le Centre de soins pour la faune sauvage de Dudelange et je photographiais leurs pensionnaires en tant que bénévole.
J’avais enfin le sentiment d’être à ma place! J’ai aussi suivi une formation en retouche numérique pour pouvoir maîtriser toute la chaîne de production, de la prise de vue jusqu’à l’impression, car le traitement de la couleur est très important dans mon travail.
Questionner la société, c’est ma mission en tant qu’artiste
Comment se sont passés vos débuts ?
Je faisais tout chez moi, ce qui n’était pas du tout pratique, car mon matériel prend énormément de place. Mais les clients étaient au rendez-vous, ça m’a encouragée.
En fait, c’est dur de trouver un bon photographe pour animaux. Je voulais proposer ce service avec mon approche, c’est-à-dire les photographier comme des êtres humains. Dans ce nouveau studio, c’est idéal.
Le public comprend-il votre démarche ?
Un changement est en train de s’opérer dans nos sociétés au niveau du regard qu’on porte sur l’animal. Pour les générations qui ont connu la guerre, l’animal était avant tout au service de l’homme, pour la nourriture notamment. Aujourd’hui, les mentalités évoluent, tout comme notre sensibilité.
C’est ce qui m’a amenée au projet pigeon : j’ai réalisé qu’on avait oublié de s’émerveiller de ce qu’on a juste devant nous. Moi, j’ai gardé mon regard d’enfant.
Justement, parlez-nous de ce projet avec les pigeons.
Une vétérinaire du Centre de soins pour la faune sauvage m’a un jour demandé de photographier leurs pigeons. Je n’étais pas emballée, parce que j’avais en tête tous les préjugés répandus à propos de ces oiseaux.
Mais j’ai eu un vrai déclic. Lors des prises de vue, un pigeon me fixait, une énergie passait, comme si les rôles étaient soudain inversés, et que c’était lui qui m’observait.
À ce moment-là, à l’école, on étudiait Alphonse Bertillon, le père du fichage photographique des criminels, et j’ai tout de suite fait le lien : il y a tant de fausses idées autour des pigeons, ces «rats volants», sales, sans intérêt, qui transmettent des maladies…
J’ai approfondi cette perception dans mon projet intitulé «Coupable?» actuellement exposé à la Cité de l’image à Clervaux. En affichant des portraits de pigeons à la manière de criminels, j’invite le public à revoir son jugement, et à se laisser happer par la beauté inattendue et l’intelligence de cet oiseau.
Concrètement, comment avez-vous procédé ?
Pendant deux ans, j’ai arpenté les rues de Belval, Esch et Bonnevoie, avec mon studio mobile et des graines de maïs en poche. J’ai tissé un lien de confiance avec les pigeons en revenant régulièrement.
À plat ventre sur les pavés, l’œil dans l’objectif, j’ai capté leur individualité sur un fond uni, pour restituer leurs regards, leurs poses, la richesse de leur plumage, leurs formes. Me mettre à leur hauteur était aussi une façon de ne pas les considérer comme inférieurs.
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Le livre complète ce projet ?
Oui, je tenais vraiment à accompagner mes photos de messages, sinon je n’aurais pas rempli ma mission d’artiste, qui est de questionner la société. Cet ouvrage, dans lequel je raconte à la fois l’histoire des pigeons de rue à travers les siècles et mon expérience auprès d’eux, a pu voir le jour grâce à une bourse du Centre national de l’audiovisuel.
Qu’avez-vous en tête pour le futur ?
Continuer mes portraits d’animaux au studio et travailler en parallèle sur deux nouveaux livres, l’un consacré aux pigeons de race, l’autre aux pigeons sauvages.
Et pour celui-là, j’ai prévu un voyage en Océanie. Donc mon coup de cœur pour ces oiseaux aux multiples facettes va encore m’occuper au moins pour deux ans!