Trois refus de titre de séjour, un prix à Cannes et un ultime espoir : Abou Sangaré, jeune Guinéen apprenti mécanicien à Amiens, est le héros de L’Histoire de Souleymane.
En 2023, Abou Sangaré, étudiant en mécanique, est bénévole dans une association d’éducation populaire à Amiens quand le responsable l’informe d’un casting : le réalisateur Boris Lojkine cherche de jeunes Guinéens. «J’ai passé un entretien de 5-10 minutes, puis je suis parti, j’avais du travail sur une voiture… Dans l‘aprem, l’équipe m’a rappelé pour refaire un essai», raconte le jeune homme de 23 ans, chemisette et cheveux tirés en arrière, lors d’une avant-première du film en septembre, à Amiens. Le réalisateur, à ses côtés, raconte avoir été convaincu par «un moment de silence» lors de nouveaux essais à Paris : «Il y avait une telle densité, tout à coup, c’était du cinéma.»
Né le 7 mai 2001 à Sinko, dans le sud-est de la Guinée, Abou Sangaré est déjà apprenti mécanicien quand il quitte son pays avec l’espoir d’aider sa mère, malade. Adolescent, il traverse Mali, Algérie, Libye, Méditerranée, et Italie avant d’arriver à Paris en 2018, à 16 ans. On lui conseille de rejoindre une autre ville «plus petite». «On me dit : « Paris, tu vas galérer ».» Il choisit Lille, raconte-t-il pudiquement. Mais, à la «Gare du Nord, des contrôleurs sont sur le quai» et «je n’ai pas de ticket», il est tard, «je prends le dernier train, direction Amiens».
Récompensé par Un Certain regard
Dans le film, le héros, Souleymane, est lui aussi guinéen, mais c’est dans la capitale française qu’il survit comme livreur à vélo, sillonnant la ville, sac cubique sur le dos, et préparant son entretien de demande d’asile. Pendant 1 h 30, collé au personnage principal, «on épouse la perspective qu’il a sur le monde», observant Paris «dans ses yeux», raconte le réalisateur. Présenté à Cannes en mai dans la section Un Certain regard, le film y a reçu le Prix du jury, et Abou Sangaré le prix d’interprétation masculine.
Boris Lojkine a mené des entretiens avec des livreurs pour connaître l’envers du décor : la sous-location de compte, les clients, leurs relations entre eux… Abou Sangaré, qui n’avait aucune expérience d’acteur, est devenu livreur pendant deux semaines, pour se familiariser avec le rôle. Afin d’incarner la «densité du réel, c’est important d’avoir des détails, toutes ces petites choses qu’on ne peut pas inventer», explique le réalisateur, qui a aussi «brouillé les pistes» entre l’acteur et son personnage «pour l’aider à rentrer complètement dans le rôle».
C’est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j’aurai l’impression d’avoir fini mon film
Lors de l’entretien pour la demande d’asile, l’une des scènes les plus poignantes du film, c’est une partie de sa propre histoire qu’Abou Sangaré livre à l’écran. «C’est le cadeau que Sangaré fait au film, nous avons tous été bluffés, c’est le moment où il devient un grand acteur», loue le réalisateur.
Au quotidien, Abou Sangaré est un jeune homme «plutôt discret», décrit Sibylle Luperce, membre du réseau Éducation sans frontières à Amiens, qui le suit depuis son arrivée. Il a parfois été «découragé» après les trois refus de régularisation, des «coups de massue» pour celui qu’elle décrit comme «travailleur», «sérieux», «exigeant».
«Tant que ma situation n’est pas réglée, je ne peux rien envisager»
Le 24 juillet, le tribunal administratif d’Amiens a confirmé le refus de titre de séjour et «validé l’obligation de quitter le territoire», a indiqué la préfecture de la Somme. Toutefois, «en raison du parcours d’intégration de l’intéressé», le préfet a sollicité début août un réexamen de sa situation et un nouveau dossier doit être déposé auprès des services préfectoraux.
Le jeune Guinéen se dit pressé de reprendre son travail de mécanicien, tout en passant des castings pour d’autres films – des projets suspendus à une possible régularisation. «Tant que ma situation n’est pas réglée, je ne peux rien envisager», regrette-t-il. «Quand on prend Sangaré pour jouer le rôle principal du film, c’est une responsabilité», estime le réalisateur. «C’est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j’aurai l’impression d’avoir fini mon film.»
L’Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine.