L’affaire était trop belle. Une maison à Neudorf pour une bouchée de pain. José et Toni se laissent tenter. Ils sont aujourd’hui accusés d’abus de faiblesse envers le propriétaire.
Il n’en voulait pas plus!» Toni et José jurent ne pas avoir forcé Heinrich à vendre sa maison de Neudorf à Luxembourg à un prix plus que raisonnable. Deux cent mille euros au lieu des 828 000 euros estimés. Ils sont accusés d’abus de faiblesse. Karine Reuter, la notaire, est accusée de blanchiment pour ne pas avoir signalé la future vente suspecte à la Commission de surveillance du secteur financier et pour avoir délivré «une sommation de passer acte dans un temps anormalement bref».
«Nous lui avions proposé plus, mais il n’en voulait pas plus. C’est lui qui m’a contacté», explique José. Sa belle-mère et un de ses employés vivaient dans la maison. «Il voulait vendre la maison parce que l’homme qui s’en occupait était décédé. J’ai joué les intermédiaires entre lui et Toni qui est agent immobilier. C’est tout.» Les deux amis ont sauté sur l’occasion et se sont rendus en Allemagne, où réside Heinrich, pour signer un compromis de vente rédigé en français avec une clause pénale à 30 %. Leur victime présumée ne maîtrise pas la langue et n’aurait pas eu la notion des prix de l’immobilier au Luxembourg.
Heinrich avait acquis la maison en 1978 d’une famille originaire du quartier, dont le patriarche a continué jusqu’à sa mort à s’occuper et à trouver des locataires. La victime présumée aurait souhaité lui revendre la maison pour 260 000 euros. À son décès, Heinrich a contacté José. L’acte de vente n’a jamais été signé. Le 13 février 2022, un an après la signature du compromis, un médecin a constaté une dégradation partielle des facultés cognitives de la victime présumée, qui a été placée sous curatelle.
Lors de son audition à la police dans le cadre de l’enquête qui a mené à l’affaire toisée par la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg hier, Heinrich paraissait désorienté et ne se souvenait plus du prix demandé aux deux prévenus. Selon un enquêteur, «il parlait des 260 000 euros demandés aux anciens propriétaires».
Un léger trouble neuro-cognitif
Après avoir signé le compromis de vente, Heinrich aurait commencé à regretter, a témoigné son épouse. «Il leur a rendu leur acompte de 50 000 euros deux ou trois jours plus tard et s’est retiré de la vente.» L’affaire aurait pu en rester là, mais le propriétaire a décidé de porter plainte contre les deux amis. Selon l’épouse, José aurait mis la pression sur son mari. «Il lui téléphonait deux fois par mois depuis un an.» Une analyse des appels passés par José infirmera ou confirmera cette affirmation.
José et Toni apparaissent pressés de faire affaire. La sommation de passer acte après deux jours vient appuyer cette théorie. Heinrich, en tant que propriétaire, avait le droit de fixer le prix de vente qui lui convenait. Peu importe le prix du marché immobilier. Un premier notaire, Me Meyers, consulté par Toni, s’est étonné du prix de vente très, voire trop bas.
«Toni m’a soumis le compromis de vente. Je lui ai suggéré de préciser dans l’acte que le prix du marché était différent du prix de vente, mais comme il n’y a pas eu acte», a-t-il noté. «J’ai contacté le vendeur, qui m’a dit ne plus vouloir vendre à ce prix et avoir contacté un avocat. Je n’avais pas l’impression d’avoir affaire à une personne affaiblie.» Pour le notaire, l’affaire était claire. La vente ne se ferait pas. Cela s’arrêtait là.
L’état de santé mental de Heinrich au moment de la transaction pose question. Un expert neuro-psychiatre a rencontré ce vieil homme dont la mémoire flanchait sérieusement en 2022, notamment sur le plan de ses finances. «Il m’a dit avoir voulu revendre la maison à 260 000 euros à ses premiers propriétaires», a révélé l’expert qui a décelé un léger trouble neuro-cognitif vasculaire initié en 2020. «Il ne jugeait plus la valeur réelle des choses et restait bloqué sur ce prix de vente», a-t-il analysé.
Pour lui, Heinrich était en état de faiblesse au moment des faits en raison d’un AVC, de quatre anesthésies en moins d’un an d’une hospitalisation au moment de la pandémie. «Son état dépendait de l’apport d’oxygène au cerveau. Il pouvait y avoir des mieux par moments, même si sa cognition se détériorait doucement.» L’expert n’a pas pu confirmer avec certitude si les deux prévenus auraient dû ou pu s’en rendre compte.
L’affaire se poursuit demain après-midi, notamment avec les plaidoiries et les dépositions des prévenus.