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[Musique] Miki, le rap du doux soupir


Si le rap contient parfois un trop-plein de testostérone, pléthore de figures féminines ont fait avancer le genre ou, plus largement, le mouvement. (Photo : dr)

Dans le rap, cela n’a pas toujours été simple de prendre le micro en tant que femme. Pour Miki, née au Luxembourg, c’est d’une facilité déconcertante, d’une fluidité… pop. Focus.

Rappeuses et chemins râpeux

Tout d’abord, un point musicalo-linguistique : le mot «funk» s’accorde au masculin et au féminin, comme «disco» est un terme hermaphrodite; il n’y a pas de frontière de genre pour «le»  ou « la» «folk», pareil pour «country», qui inclut aussi bien Loretta Lynn, Dolly Parton que Johnny Cash et Willie Nelson. Mais le rap, sur le plan grammatical, reste masculin, comme le rock.

Sauf que, dans le cas du rock, il est possible de citer, sans trop de difficulté, des girls bands qui s’accordent aux guitares – des Runaways («I love rock’n’roll») aux Riot grrrls dans les années 1990, en passant par Fotogenico, le groupe fictif du film éponyme (Benoît Sabatier et Marcia Romano, 2024).

Ce qui relierait les Ronettes, affiliées au rock’n’roll, aux Destiny’s Child, affiliées au hip-hop, c’est le rythm’n’blues, au sens originel et revival via la contraction «r’n’b». Mais des girls bands du rap donc? Il y en a, certes, elles incarnent une minorité, comme le collectif composé intégralement de femmes MC, mais aussi de DJ, les Mercedes Ladies. Sinon il y a J.J Fade, ou The Sequence, et là c’est du rap mixé à du (ou de la) funk.

Entre le rap et les femmes, c’est toute une histoire, parfois même contradictoire. Si cette musique contient parfois un trop-plein de testostérone, pléthore de figures féminines ont fait avancer le genre ou, plus largement, le mouvement. Citons Monica Lynch, ex-présidente du précurseur label hip-hop pourtant nommé Tommy Boy, ou un autre, Atlantic, dont le catalogue, grâce à Sylvia Rhone, s’est ouvert aux femmes du rap (MC Lyte, Yo-Yo…).

Il y a aussi des stars telles que Queen Latifah, Lil’Kim ou Missy Elliott, sans oublier, en tournant un peu plus le rétro, Sha-Rock – oui, il faut être «rock» pour se faire une place au sein du rap en tant que femme. Saliha, pionnière du rap français, affirme, à ce propos, dans Ladies First (Sylvain Bertot, 2019) : «Tu as intérêt à te battre deux fois plus», ce qui traduit l’idée de placer le curseur de l’exigence plus haut, en tant que «femcee» (mot-valise pour «femme MC»), dans un genre souvent compétitif.

Au XXIe siècle, en Italie, c’est une femme, Paola Zukar (avec sa société Big Picture) qui est la manageuse de deux poids lourds du rap, à savoir Fabri Fibra et de Marracash, en plus d’être l’autrice de l’ouvrage essentiel Rap, una storia italiana (2017). Et, de Beba à Priestess en passant par Madame, il y a beaucoup de rappeuses transalpines, ce sont des artistes disons «hip-pop», au sens où elles sautent du chant au rap avec la même dextérité qu’un Luxembourgeois avec les langues.

En Belgique, il y a Shay, Lous And The Yakuza ou Blu Samu, qui est une grande fan de Lauryn Hill, pour mentionner un autre repère indispensable, en matière de hip-hop au féminin. Oui, les queens sont nombreuses; il n’y a pas que Latifah. Mais quand même.

En France, deuxième pays du rap après les États-Unis, il y a eu pendant longtemps – et il y a encore – un déséquilibre : tant de rappeurs pour si peu de rappeuses, Roll. K, Princess Aniès, Casey, Keny Arkana, d’accord, mais il n’y a pas de quoi mettre des points de suspension à n’en plus finir. Jusqu’à ce que Diam’s devienne ultra-populaire. Les excellentes Orties, pour citer un autre girls band, en l’occurrence deux soeurs jumelles, ont fait fusionner rap et goth.

Aujourd’hui, Aya Nakamura, qui n’est certes pas étiquetée «rap», mais plutôt «pop urbaine» (un mot qui, il faut le dire, n’a pas grand sens), fait partie de ces très rares artistes françaises à posséder une notoriété internationale, jusqu’à chanter à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024. Au sens large, le rap est plus pop, du moins, dans la pop mainstream, il y a du rap; de Nicki Minaj à Megan Thee Stallion ou Cardi B, tout se mélange. Pour faire un dernier point de linguistique : vu qu’on ne parle pas de «rap stars», ce sont des «pop stars rap».

Le brio désinvolte de Miki

Miki n’est pas une contrepèterie raccourcie de Nicki Minaj, ni de la rappeuse espagnole Nikki M, il ne s’agit pas non plus d’un clin d’œil à Nikki D qui, en 1991, devient la première femme à être signée sur l’historique label Def Jam. Non, Miki, c’est le diminutif de Mikaela Duplay, une jeune femme née au Luxembourg, qui, alors qu’elle fait presque du surplace dans le clip d’Echec et mat, a vécu entre Paris, Londres et la Corée du Sud. Si le rap est, à la base, la voix des «sans voix», il va de soi que les femmes aussi y tracent leur voie.

Mais là, dans ledit clip, Miki danse avec la tête, tout en adoptant un visage fatigué, à l’image du titre, la résignation en bandoulière, blasée comme sa génération; c’est comme si elle n’avait rien à perdre, et pas plus à gagner. Le rap ? Ce n’est pas que ce n’est pas son problème, c’est que, pour elle, ce n’en est pas un, de problème. Tonique, tonitruant, empli de fureur de vivre, même lorsqu’il s’agit de narrer sa déprime, le rap est une musique de la verve; Miki invente, quelque part, le rap du soupir.

Mais encore : un style grognon calme, du désespoir soft. C’est comme si ce soupir laissait échapper la fumée d’un joint. Le rapport avec le rap, c’est que les vagues à l’âme, via le flow, lui remontent à l’estomac, mais on dirait qu’elle pousse du timbre juste parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Et puis Miki rappe comme elle parle, et quand elle parle, elle chante : son rap est pop, aussi.

À travers sa part de compétitivité, par le biais des punchlines, des clashs, de l’ego trip, voire même de l’auto-célébration, le rap est le genre musical le plus en osmose avec les réseaux sociaux. Mais, dans le cas de Miki, si elle dépasse le rap, elle n’essaye pas de faire mieux que la concurrence, non, le rap devient ici l’espace idéal pour affirmer sa vulnérabilité. Alors, une femme dans le rap doit faire deux fois plus d’efforts qu’un homologue masculin ?

Miki réussit un double exploit : construire de bons morceaux rap et de belles chansons pop. Car si l’artiste a démarré dans l’électro-pop aux couleurs disco (avec Moi je, titre prémonitoire, et aussi en collaborant avec Metronomy), le rap reste la manière la plus directe de parler de soi. Et de creuser la veine de l’anti-ego-trip, en s’intégrant dans ce qu’elle n’aime pas («Les gens qui boivent des bubble tea me dégoûtent / J’en fais partie», sur Echec et mat), jusqu’à s’autoflageller… avec douceur («On me dit souvent que j’ai une tête de chat / C’est peut-être pour ça que je suis allergique à moi», sur Cartoon Sex).

On pense à Marguerite Thiam, mais aussi à Angèle, à Yoa, à la brillante Asinine, qui fait du rap mais autre chose que du rap. Alors qu’Eloi a repris Jtm de ouf de Wejdene, Miki chante Jtm encore, où elle s’amuse avec les effets de voix, en destructurant alors ses paroles, jusqu’à les transformer en onomatopées mécaniques – on dirait un mix (inédit) entre Laurie Anderson, Crystal Castles et la chanson Marguerite d’Iliona.

Enfin, le rap est, sans conteste, le style de musique le plus bavard qui existe ? Sur ce même Jtm encore, Miki laisse l’électronique s’exprimer sur un final qui vrille dans un genre encore plus pop que la pop, nommé «hyperpop». Alors quoi, Miki fait de l’hyper-rap ? Peu importe, c’est hyper bien.

Miki sera à la Rockhal  (Esch-Belval) le 25 avril 2025.

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