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Mémoires : les souvenirs en pointillé de Monica Vitti


Monica Vitti

Mémoires

Séguier

Un aveu, une confidence dès la première page : «Je suis en train de me laisser aller, c’est la première chose qu’on apprend en mer pour ne pas se noyer. On m’a toujours dit que j’étais sans défense, que n’importe qui pourrait me blesser, me faire du mal. C’est que je n’y attends jamais. Je suis d’une légèreté heureuse.

Comment lui laisser de l’espace? Comment en profiter?». Au fil des pages, la réponse à ces questions surgira-t-elle?  Peut-être, peut-être pas… Disparue le 2 février 2022 à 90 ans après avoir souffert de la maladie d’Alzheimer pendant quinze années, Monica Vitti – grande dame aux lunettes de soleil imitation léopard, celle qu’on surnommait «laVitti » et qui fut «la muse de l’âge d’or du cinéma italien» – s’était racontée en deux textes parus l’un en 1993, l’autre en 1995 et que l’on retrouve aujourd’hui réunis en un seul livre simplement titré Mémoires. Sourire léger, elle présentait ces textes comme «une autobiographie involontaire»…

Un peu plus loin, on lit aussi : «Ce livre est ma première liberté personnelle, mais grâce à lui je suis en train d’en conquérir une autre. À travers mes souvenirs, qui me servent pour écrire, je peux oublier tout le reste. Mes casseroles sur le feu, l’eau qui déborde de la baignoire en toute tranquillité… les rendez-vous ne sont plus qu’un mot sans horaire». Née à Rome, grandie en appartement à Messine en Sicile puis à Naples dans une famille modeste, elle portait «sept jupons» l’hiver pour ne pas avoir froid.

lle commencera au théâtre, elle confie : «Comme c’est beau, un théâtre vide!». Dans le deuxième chapitre de «Sept jupons», le premier de deux textes de Mémoires, elle raconte un rendez-vous avec une journaliste : «Je n’ai pas envie de parler. Mais il le faudra bien. Si elle ne venait pas ou qu’elle avait du retard, ça me rendrait service». Rencontre réelle ou procédé littéraire? Peu importe, là Monica Vitti se souvient.

Aussi désarmante que désinvolte, pendant plus de trente ans, «la Vitti» sera le symbole de la femme moderne, aussi énigmatique que troublante. Le cinéma lui donnera rendez-vous, elle y rencontrera Michelangelo Antonioni avec qui elle passera quelques années, sera sa muse et tournera dans L’avventura (1960), La Nuit (1961) et L’Eclipse (1962) – films où sont développés les thèmes de l’incommunicabilité, de l’aliénation et du malaise existentiel.

Avec le réalisateur, elle voyagera à New York, y découvrira dans le quartier de Bowery l’atelier du peintre Mark Rothko… Dans ses Mémoires, elle évoque aussi son frère Giorgino, Milan, Cannes et son festival, Paris et le restaurant Maxim’s pour un moment avec le cinéaste espagnol Luis Buñuel, Shakespeare ou Ophélie qu’elle interpréta avec élégance et talent, la chanteuse et comédienne Barbra Streisand, le dramaturge Arthur Miller («je suis folle de lui et il le sait») et le réalisateur Roberto Russo qu’elle épousa en 2000 et qui l’accompagna jusqu’à sa mort ce 2 février 2022.

Au fil des confidences dans cette autobiographie éclatée, elle confie : «Je vis de la parole des autres», et aussi : «Comme toutes les femmes j’ai deux visages . On croit, à la lecture, que Monica Vitti dit tout. Se dit tout. Nous dit tout. Ses succès, ses doutes, ses amours. On croit mais, ensorceleuse de blondeur des cheveux et de bleu profond des yeux, elle sait mieux que personne cultiver, entretenir l’énigme.

Peut-être parce qu’elle préférait «le souvenir à la mémoire. Parce qu’il dure dans le temps, le souvenir s’estompe, mais il prend de l’ampleur, vous vient en aide, vous passionne, vous attend». Symbole d’une ultra moderne féminité, «la Vitti», comme on dit «La Joconde», était «merveilleusement intelligente» pour le comédien Jean Sorel qui tourna avec elle dans Tue-moi vite, j’ai froid (1967). Un autre comédien, l’Italien Giancarlo Giannini, son partenaire dans Drame de la jalousie (1970), ajoutait : «Jouer avec elle, c’est comme manger un bon plat de spaghettis». Grazie mille per tutto, Monica!