Pour la Chambre de commerce, le Luxembourg doit absolument innover et se diversifier s’il veut sauver son modèle économique. Sans oublier de retenir ses frontaliers, de plus en plus nombreux à déserter.
Le Luxembourg en panne de croissance : voilà un constat qu’on aurait eu peine à croire il y a encore quelques années. Mais après la récession de 2023, le mince regain d’activité enregistré cette année n’a pas suffi à regonfler la richesse produite, bloquée entre +1,2 % et +1,5 %. Et, si du mieux est attendu pour 2025, avec une croissance à 2,3 %, voire 2,7 %, on reste bien en dessous de la moyenne historique grand-ducale de 3 %.
Pour la Chambre de commerce, il faut agir vite, car l’économie nationale, très ouverte, expose particulièrement le pays à l’instabilité mondiale. «Le Luxembourg doit s’adapter en modernisant son cadre légal et fiscal, et en misant sur ses capacités d’innovation et de diversification», a martelé hier le directeur général, Carlo Thelen.
Et parmi les indicateurs dans le rouge, la compétitivité qui décline, et la productivité qui stagne, arrivent en tête. Le Luxembourg prend ainsi la 23e place du classement mondial 2024 de l’institut IMD, soit son pire résultat à ce jour. «Or, des solutions, il y en a», assure la directrice des Affaires économiques, Christel Chatelain.
Améliorer la productivité avec l’intelligence artificielle
La simplification administrative d’abord. «C’est quelque chose qui est réclamé depuis longtemps par les entreprises. En 2025, on livrera donc au ministère de l’Économie un état des lieux de leurs besoins avec des pistes concrètes», annonce-t-elle. Puis, l’innovation, identifiée comme un levier clé dans le Baromètre de l’économie du second semestre 2024. L’enquête indique que 64 % des entreprises ont innové ces trois dernières années, avec un effet positif sur la productivité pour plus de la moitié d’entre elles.
Et à ce niveau, c’est l’intelligence artificielle (IA) qui s’impose comme la technologie émergente ayant le plus fort impact sur le business model des entreprises. «Les possibilités sont immenses : l’IA peut automatiser la rédaction de contrats, accélérer des processus de production dans l’industrie, organiser la logistique», souligne-t-elle. Pour autant, seules 5 % des sociétés l’utilisent aujourd’hui, dont une majorité de banques. «Il faut soutenir les entreprises qui souhaitent intégrer l’IA, car elle libère du temps aux équipes pour des tâches à haute valeur ajoutée.»
Le Grand-Duché peut être un précurseur
Selon cette experte, le Grand-Duché a les moyens de devenir un précurseur dans ce domaine, porté à la fois par son secteur financier où l’IA est très développée, son écosystème de start-up, et les puissants centres de données implantés sur son territoire. L’objectif étant aussi d’attirer de nouvelles entreprises spécialisées dans l’IA, et d’en faire un vrai secteur de diversification, à l’image de la branche spatiale.
Autre axe intéressant pour diversifier l’économie et mieux la préserver des secousses mondiales : la défense. Pour la Chambre de commerce, il est évident que le Luxembourg doit non seulement tenir ses engagements auprès de l’OTAN en portant son effort de défense à 2 % du RNB (Revenu national brut), mais aussi faire en sorte que ces moyens – plus de 1,4 milliard d’euros par an en 2030 – ruissellent dans l’économie nationale. «Les entreprises pourraient en tirer parti en développant des biens et services à double usage, vendus aux militaires et au public. On pourrait aussi participer à l’entretien des véhicules sollicités par l’OTAN, ou fournir des pièces, de manière à s’insérer dans la chaîne d’approvisionnement», avance Christel Chatelain, ajoutant que les liens entre armée et industrie pourraient être renforcés, comme c’est le cas en France.
Des frontaliers qui désertent
Pas de reprise de la croissance sans emploi. Or, la Chambre de commerce pointe des signaux alarmants : 59 % des entreprises déclarent qu’elles seront à nouveau confrontées au manque de main d’œuvre en 2025, comme les années précédentes. Dans le même temps, les travailleurs frontaliers commencent à bouder le Luxembourg : l’emploi frontalier n’a progressé que de 1,6 % entre 2022 et 2023, contre 4 % avant la pandémie. Et le nombre de frontaliers allemands et belges est déjà en baisse.
«Il y a les temps de trajet, mais pas seulement. Les pays limitrophes ont, eux aussi, des problèmes de pénurie et tentent de rapatrier ceux qui travaillent au Luxembourg en appliquant des désavantages», explique Christel Chatelain, en référence à l’imposition des heures supplémentaires pour les frontaliers allemands, ou la nouvelle convention fiscale visant les couples français.
Tous les secteurs économiques sont concernés et tous les postes, des profils les plus pointus jusqu’aux non qualifiés. «La finance n’arrive plus à recruter de Français parce que les règles de télétravail font qu’il est plus avantageux d’aller à Paris une fois tous les 15 jours qu’à Luxembourg quatre fois par semaine. Et dans l’Horeca, certains employeurs ont dû fermer cet été par manque de bras», indique la directrice des Affaires économiques. Elle appelle à une réflexion globale sur les raisons de ce rejet et les conséquences pour le Grand-Duché.