À la frontière turque, les réfugiés syriens tentent de retourner dans leur pays. Beaucoup partent à la recherche de proches disparus.
Avec ses fines lunettes, sa doudoune marine et sa valise-cabine, il a l’air des voyageurs croisés dans les aéroports. Pourtant, lundi matin, c’est dans la file des réfugiés qu’il patiente au poste turc de Cilvegözü, à la frontière syrienne. «Je rentre chercher mon frère disparu. Nous sommes sans nouvelles de lui depuis treize ans».
Alikabor, qui arrive de Hambourg, est en mission – et pour cette raison, le jeune homme de 29 ans, devenu allemand, ne donnera pas son patronyme, justifie-t-il, la mine sérieuse, tout comme il refuse les photos. Originaire d’Idleb (nord-ouest de la Syrie), il a fui en 2013 à pied par la Turquie, puis en bateau pour la Grèce et, arrivé en Europe, a pu gagner l’Allemagne de la chancelière Angela Merkel qui lui a octroyé la nationalité allemande.
Hier matin aux premières heures du jour, il patientait entre les gendarmes et les commandos turcs à béret bleu avec deux cents à trois cents Syriens, réfugiés en Turquie depuis plus de dix ans pour la plupart, qui arrivent avec leurs paquetages et, dans les bras ou à la main, des nuées d’enfants ensommeillés.
Le passage ne peut se faire qu’à pied. Aussi la petite foule est constamment alimentée par le ballet des taxis qui déchargent des familles entières, déterminées à rentrer en Syrie. Contrairement aux jours précédents, où ils venaient surtout des grandes villes du sud comme Hatay et Gaziantep, les candidats au retour arrivent désormais de toute la Turquie, d’Istanbul, Bursa (ouest), Kayseri en Cappadoce (centre), et s’apprêtent à regagner Hama, Alep, Homs et pour beaucoup, Damas.
«Nous ne savons pas s’il est vivant ou mort»
«Mon frère a disparu pendant ses études à Homs», reprend Alikabor. «Nous étions ensemble à l’université, lui finissait sa quatrième année d’études d’anglais. Je suis parti deux jours voir nos parents à Idleb quand des amis communs m’ont appelé pour me prévenir de sa disparition. Depuis, nous sommes sans nouvelles de lui».
Une histoire tristement syrienne, qui concerne plus de 110 000 personnes, estimait en 2022 le Réseau syrien pour les droits de l’homme (SNHR), essentiellement disparues aux mains du camp du président déchu Bachar el-Assad, défait dimanche par une coalition rebelle, qui serait désormais réfugié en Russie. De quatre ans son aîné, son frère doit avoir 33 ans aujourd’hui. «Nous ne savons pas s’il est vivant ou mort».
Alikabor prévoit de se rendre à Damas pour présenter sa photo «aux nouvelles autorités» et de faire le tour des nombreuses et innommables prisons qui s’ouvrent, libérant des flots de disparus. «La seule chose dont nous sommes sûrs à cent pour cent, c’est qu’il était aux mains des gens d’Assad» affirme-t-il
Pourtant, le jeune homme n’avait aucune activité politique ni ne participait, à sa connaissance, aux manifestations populaires qui ont fait tanguer le pouvoir en 2011, entrainant une répression sans précédent. Sa famille – son épouse, trois enfants nés en Allemagne et ses parents – sont restés à Hambourg où Alikabor a fondé une entreprise de déménagement.
Lui a sauté dimanche dans l’avion pour Istanbul, dès l’annonce de la chute de Bachar al-Assad, puis dans celui de Hatay pour être parmi les premiers, lundi, à franchir le portique qui le sépare de son pays. «Je vais frapper partout, essayer de retrouver nos amis, demander à tout le monde», lâche-t-il en se retournant une dernière fois avant d’entrer en Syrie.