Si certains élus vantent la stabilité politique du Luxembourg, le Pr Philippe Poirier, estime, lui, que la France et l’Allemagne ne vivent pas, pour autant, une instabilité politique.
Au lendemain du vote de la motion de censure du gouvernement Barnier en France, les représentants politiques luxembourgeois ont observé avec un certain effarement que le chaos politique régnait dans les pays voisins, que ce soit en France, en Allemagne ou en Belgique. Il s’en est trouvé parmi eux, à l’instar de Corinne Cahen (DP), qui ont loué la stabilité politique du petit Luxembourg.
Pourtant, il n’est pas tout à fait exact d’évoquer une instabilité politique chez nos voisins. Professeur de science politique à l’université du Luxembourg, Philippe Poirier nuance. «En Allemagne et en France, on respecte et on applique le principe de la démocratie participative et des droits constitutionnels du Parlement.» En France, le gouvernement de Barnier n’avait pas de majorité au Parlement. «Ce n’est pas une instabilité, cela fait partie du jeu démocratique, sauf que c’est nouveau», explique-t-il.
En Allemagne, les partenaires de la majorité ne parviennent plus à respecter leur accord, donc la majorité parlementaire n’existe plus et il y aura des élections anticipées en février. «Ce n’est pas un phénomène nouveau en Allemagne, on l’a vu avec Willy Brandt, Helmut Schmidt et Helmut Kohl.»
Au Luxembourg, il faut se souvenir qu’entre juillet et octobre 2013, il n’y a pas eu d’instabilité sous prétexte que les chrétiens-sociaux et les socialistes n’arrivaient plus à s’entendre et qu’il n’y avait plus de coalition gouvernementale. Ce qui a entraîné les élections anticipées d’octobre 2013. «Il est important de rappeler qu’à cette époque il n’y avait pas une instabilité absolue au Luxembourg», insiste Philippe Poirier.
La culture du compromis
Ce qui n’empêche pas d’observer que la difficulté à trouver des majorités politiques se répète de plus en plus dans les démocraties, de manière générale. Pourquoi? «Parce qu’il y a de trop grands clivages au sein de nos sociétés, en Allemagne, en France, un peu moins en Belgique. Alors qu’au Luxembourg, ça s’est atténué, parce que les clivages qui existent sur les questions sociétales, économiques, sociales, environnementales sont amorties par le fait que la moitié de la population ne vote pas.»
Autre phénomène : le Grand-Duché n’a eu aucune majorité parlementaire d’un seul parti depuis la Seconde Guerre mondiale. Un parti d’opposition peut se retrouver partenaire d’une majorité d’une élection à l’autre. «Forcément, les partis politiques, même s’ils sont entre majorité et opposition, doivent ménager l’avenir et avoir une pratique plus importante de recherche de compromis sur certains dossiers jugés les plus importants pour le pays, et ça, c’est la rationalité du Luxembourg qui peut justifier ou faire croire que le Luxembourg est plus stable.»
Et si les non-Luxembourgeois allaient aux urnes? «On a vu dans nos études Polindex que les Luxembourgeois et les étrangers se ressemblent en termes de choix de politique, de valeurs politiques, etc. Il y aurait certainement des discussions politiques plus nombreuses, plus ouvertes sur certains sujets qui ne sont pas abordés ou délaissés», estime Philippe Poirier.
Il est évident que la dynamique économique au Luxembourg participe à la stabilité qui caractérise le pays. Pourtant, le Luxembourg connaît une crise du logement extrême. «Malheureusement, les Français et les Allemands ne peuvent pas voter avec leurs pieds. Quand on vit à Paris ou à Berlin, on a moins de possibilités d’aller trouver un emploi ou un logement ailleurs, tandis qu’à Luxembourg, une frontière est vite franchie pour aller se loger moins cher dans les pays voisins», poursuit Philippe Poirier. Les Luxembourgeois qui vivent à l’étranger ne feraient plus partie du système politique. «Ceux qui habitent à Thionville ou ceux qui habitent à Trèves ou à Arlon ont trouvé un logement, mais ils sont moins considérés ou ils sont moins actifs dans le système politique», ajoute-t-il.
Bien entendu, le Luxembourg est plus stable à première vue. Il est stable même dans son fonctionnement. Mais il ne faut pas voir l’Allemagne ou la France instables systématiquement. «Ce qui rend les tensions politiques plus fortes en Allemagne et en France, c’est la situation économique qui s’est très fortement dégradée dans ces pays. Mais à partir du moment où des gouvernements vont réussir à se recomposer avec des majorités parlementaires, alors on ne parlera plus d’instabilité politique», conclut-il.