Annoncé vendredi après un quart de siècle de négociations, l’accord controversé entre l’Union européenne et des pays sud-américains du Mercosur pourrait faire des gagnants et des perdants, ce qui explique l’opposition de certains pays, dont la France. Explications.
Qu’est-ce que le traité UE-Mercosur?
Il s’agit d’un accord commercial que l’Union européenne entend nouer avec des pays d’Amérique latine. Les discussions ont commencé en 1999. Le traité, qui doit être encore adopté par les pays membres, vise à supprimer la majorité des droits de douane entre les deux zones en créant un espace de plus de 700 millions de consommateurs.
Créé en 1991, le Mercosur, abréviation du « marché commun du sud », rassemble cinq pays: Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et depuis 2023 la Bolivie – le Venezuela est lui suspendu depuis 2016. Le traité UE-Mercosur exclut toutefois ces deux derniers pays.
Le traité permettrait aux pays sud-américains d’écouler vers l’Europe de la viande, du sucre, du riz, du miel… En face, l’UE exporterait ses voitures, ses machines, ses produits pharmaceutiques… D’où le fréquent surnom d’accord « viande contre voitures ».
Qui y gagnerait?
Les entreprises des deux continents avec un débouché de 270 millions de consommateurs pour les groupes européens et de 450 millions pour les entreprises sud-américaines.
Bruxelles assure dans des documents publiés vendredi que l’accord permettra de supprimer les droits de douanes d’environ 91% des biens exportés vers la région, aujourd’hui taxés pour les voitures à 35%, les produits chimiques jusqu’à 18%, les produits pharmaceutiques jusqu’à 14% et les chaussures en cuir à 35%.
Le gouvernement espagnol qui soutient l’accord met en avant le vin ou l’huile d’olive. L’Allemagne, dont le chancelier Olaf Scholz a salué vendredi « un obstacle important (…) levé » après l’annonce de la Commission, a l’espoir d’écouler plus de voitures.
L’enjeu crucial de la transition climatique pousse par ailleurs l’Europe à se rapprocher de cette zone du monde riche en lithium, cuivre, fer, cobalt… L’accord prévoit des taxes à l’importation par l’UE plus basses pour les matériaux critiques, selon Bruxelles.
En face, la filière agricole sud-américaine aurait à tirer un avantage du traité d’autant que le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay ont déjà exporté en 2023 pour 24 milliards de dollars de produits agricoles et agroalimentaires dans l’UE, en particulier du soja.
Qui y perdrait?
Les éleveurs bovins français s’inquiètent, soutenus par les syndicats agricoles espagnols et plus largement européens.
« L’élevage français ne sera pas concurrentiel par rapport à l’élevage brésilien », craint l’économiste Maxime Combes, opposé à ce traité. Car sur le respect des normes environnementales ou de sécurité alimentaire, « il y a une difficulté réelle à suivre chaque carcasse, on ne sait pas tracer », la viande venant d’une région du monde aux normes moins contraignantes.
L’accord prévoit notamment des quotas d’exportation vers l’UE de 99.000 tonnes d’équivalent-carcasse taxés à 7,5%. Les volumes seront composée à 55% de viande fraiche, le reste de viande congelée « de moindre valeur », selon Bruxelles.
La Commission européenne parle de « petits volumes », soit 1,6% de la production de l’UE pour la viande de boeuf, et moins de la moitié de ce qu’importe aujourd’hui l’UE.
La France met aussi en avant des risques pour le climat et la déforestation.
« Une des parties peut suspendre l’accord si elle considère qu’il y a une violation grave de l’accord de Paris ou si une partie quitte l’accord de Paris » sur le climat, a tenté de rassurer la Commission vendredi.
Le Brésil demandait de son côté à pouvoir protéger ses industries jugées stratégiques, comme l’automobile.
Et maintenant?
Désormais va s’accélérer la période des tractations en Europe, avec une incertitude sur le mode d’adoption du traité, en une seule ou deux parties.
Un précédent accord « politique » en 2019 n’avait jamais pu être adopté définitivement.
La France tente depuis des semaines de rallier des pays européens pour constituer une « minorité de blocage », rejointe récemment par la Pologne et l’Italie, tandis que l’Autriche et les Pays-Bas ont déjà exprimé leurs réticences.
« Nous pouvons atteindre la minorité de blocage », a affirmé vendredi la ministre française déléguée au Commerce extérieur démissionnaire Sophie Primas, affirmant que l’annonce de la Commission vendredi « n’engage qu’elle ».