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Charles Goerens : « Si on devient fataliste, arrêtons de faire de la politique »


„Dans les deux tiers des États membres on a soit les partis d'extrême droite au pouvoir, soit ils sont les premiers dans le sondage“

L’eurodéputé libéral Charles Goerens a voté en faveur de la Commission von der Leyen. Il explique pourquoi et ce que l’UE doit rapidement mettre en place.

Le vote du parlement européen en faveur de la nouvelle Commission von der Leyen , démontre-t-il que les députés ont placé l’intérêt de l’Union au-dessus de certains intérêts partisans ?

Nous avons un gouvernement en France qui est à la merci d’une majorité de fortune, nous avons un gouvernement allemand qui n’arrive plus à réunir une majorité autour de lui. Donc la France est paralysée et l’Allemagne le sera aussi jusqu’à la mi-printemps. Dans les cinq mois qui suivent, rien de décisif pour l’avenir de l’Europe ne se passera. Ajouter à cette crise politique qui est en train de ronger deux pays au cœur de l’Europe, une crise institutionnelle au niveau européen, serait franchement irresponsable.

Je ne suis pas un ami de Fitto ni de Varhelyi, les deux appartiennent à des partis infréquentables

Ce n’était pas votre premier choix…

Madame von der Leyen a ses défauts. Ce n’est pas la présidence que j’aurais souhaitée. J’étais favorable à Draghi, qui a une vision, qui a du talent. Mais comme Emmanuel Macron a été affaibli par l’après-élection européenne, il n’a plus été en mesure de proposer une alternative à von der Leyen. Donc il faut faire avec. S’agissant du Parlement européen, elle sera sous haute surveillance. D’ailleurs, elle a reçu un premier avertissement aujourd’hui. Elle n’a plus que 380 voix, c’est nettement moins que la première fois. Je ne suis pas un ami de Fitto ni de Varhelyi, les deux appartiennent à des partis infréquentables. Néanmoins, il faut voir aussi qu’il y a 25 représentants d’États membres et 25 représentants fréquentables. Je crois que le danger que fait courir la participation de ces deux commissaires à la Commission est quand même conjurable. Mon grand souci c’est de voir la Hongrie qui fait ce qu’elle veut, la Slovaquie de même, en Slovénie pareil. Dans les deux tiers des États membres on a soit les partis d’extrême droite au pouvoir, soit ils sont les premiers dans le sondage.

Quels sont les grands défis qui se présentent aujourd’hui ?

Nous avons quatre problèmes. Le premier s’appelle Poutine, le deuxième s’appelle Xi Jinping, et le troisième problème s’appelle Donald Trump. Le quatrième problème, c’est nous-mêmes. Pour les trois premiers, nous ne pouvons pas faire grand-chose, notre pouvoir est très limité. Mais pour le quatrième, donc nous-mêmes, nous pouvons faire quelque chose. Ce que nous devons faire, c’est traduire dans les faits, pratiquement mot pour mot, le rapport Draghi sur l’amélioration de la compétitivité de l’UE et le rapport Letta sur l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur. Pour l’environnement, nous savons tout ce qu’il faut faire, mais nous ne le faisons pas suffisamment. Von der Leyen a pris des engagements très solides, elle va être jugée sur la façon dont elle va les mettre en vigueur. Voilà ce qu’il faut dire au sujet de la commission Von der Leyen.

Le Luxembourg voit ses deux grands voisins, la France et l’Allemagne, dans un piètre état politique et économique.  Pourrait-il en subir les conséquences ?

Bien entendu, tout ce qui est mauvais pour l’Europe est mauvais pour le Luxembourg. Tout ce qui est bon pour l’Europe est bon pour Luxembourg. Notre microclimat dépend du macroclimat européen. Nous sommes plus dépendants et plus tributaires des évolutions qui sont devant nous que quiconque. Il faut que nous soyons conscients du fait que nous sommes petits. Mais je sais aussi que, d’un autre côté, lorsqu’on adopte des positions crédibles, on est pris au sérieux. La seule carte que nous avons à jouer en Europe, c’est notre crédibilité et notre anticipation politique du fait d’être vulnérable à ce point. Nous sommes conscients des dangers que fait courir l’évolution internationale. Il n’y a plus aucun État parmi les 27 qui est encore en position de pouvoir se défendre seul. Même à 27, c’est difficile. Il va falloir déployer des efforts colossaux pour arriver à surmonter tout ça.

L’économie est la servante de nos sociétés

La priorité, malgré tout, c’est de faire de l’UE une grande puissance économique…

Nous avons raté les deux premières vagues de rénovation technologique. Draghi nous dit « Ne ratez pas la troisième, parce que sinon, vous serez plus près de l’agonie que d’une vraie puissance économique et commerciale ». Il faut prendre Draghi au mot et traduire ça dans les faits, ça doit être le fil rouge de toute la politique des quatre prochaines années. L’économie est la servante de nos sociétés. Je ne suis pas fataliste, mais ce que nous sommes en train de vivre est très sérieux. Si on devient fataliste, alors arrêtons de faire de la politique. Je mesure les difficultés qui sont devant nous. Nous avons une extrême droite de plus en plus dégueulasse au Parlement européen. Mais nous pouvons juguler ces risques, à condition de faire entrer Manfred Weber, le président du groupe PPE, dans le rang.

En Roumanie un candidat pro-russe est arrivé en tête des élections au premier tour, comment expliquez-vous ce séisme ?

On voit quelqu’un qui vient de nulle part arriver en tête au premier tour des élections présidentielles. Pourquoi ? Il y a une plateforme TikTok qui semble avoir développé un algorithme qui a amoindri tous ses concurrents et qui l’a propulsé sur le devant de la scène. Nous avons voté, l’année dernière, le rapport Sandro Gozi concernant la publicité politique sur les plateformes. Et si ce rapport, si cette législation était déjà entrée en vigueur, les résultats roumains n’auraient pas été ce qu’ils ont été dimanche dernier. On voit que l’Europe a encore les moyens de réagir à ça. Mais il faut qu’on soit plus rapides pour être efficaces dès à présent. Nous sommes les premiers et pratiquement les seuls à essayer de faire un peu le ménage sur les plateformes. C’est ça le Digital Services Act. L’une des grandes épreuves qui est devant nous, c’est la résilience de cette réglementation face aux tentatives de Musk d’y mettre fin. Tout ce qui a une connotation raciste, xénophobe, antisémite, enfin tous ces trucs dégueulasses, ça n’a pas sa place sur une plateforme et ce n’est pas compatible avec la législation européenne. Nous sommes encore les seuls à faire plier ces quelques milliardaires qui croient pouvoir s’arroger les pouvoirs régaliens. Alors ce monde, je n’en veux pas.