Michel Hazanavicius signe son premier film d’animation en adaptant le récit de Jean-Claude Grumberg sur la déportation vers les camps nazis. Au bout, une œuvre belle et bouleversante.
D’emblée, il précise : «J’ai cherché de la délicatesse» pour raconter aux enfants une histoire «irracontable». Avec La Plus Précieuse des marchandises, Michel Hazanavicius (la série OSS 117, Coupez!, The Artist) livre un film d’animation sur l’itinéraire de Justes face à la Shoah. Ce long métrage, présenté au festival de Cannes et adapté du conte de Jean-Claude Grumberg, plonge les spectateurs dans l’histoire de «pauvre bûcheron» et d’un «pauvre bûcheronne» qui recueillent un bébé jeté d’un des nombreux trains en route vers les camps nazis d’extermination.
«On parle évidemment du génocide des Juifs, de la Seconde Guerre mondiale, des camps… Mais ce n’est pas le sujet du film, c’est le contexte», explique le réalisateur et dessinateur qui a voulu offrir un film «solaire et lumineux». «Il n’y a pas de discours sur les bourreaux, pas d’héroïsation des victimes, les personnages principaux, ce sont les Justes, les gens qui ont fait le choix de l’humanité et de la dignité.» «Les héros du film, c’est cette chaîne de solidarité qui se met en place», insiste-t-il.
«La question de la représentation des camps, de la Shoah est très actuelle parce qu’on est à l’heure où les survivants disparaissent, où les gamins ont un rapport très éloigné à cette histoire-là et où elle perd de sa force émotionnelle», souligne-t-il pour expliquer le choix de l’animation, une rareté en compétition à Cannes. La «seule voie possible» pour être, selon lui, dans «la suggestion». Dans ce conte animé, «l’ogre peut changer et c’est important de dire qu’on peut changer. On n’est pas obligé de se tromper toute sa vie», confie-t-il en évoquant le personnage du bûcheron, «peut-être le plus intéressant» parce qu’il évolue au fil du récit.
C’est un film tourné du côté de la vie, pas du côté des ténèbres
«Il est à chaque fois dans des situations de choix, chaque scène est un petit moment de bascule», expose le cinéaste qui a remporté l’Oscar du meilleur réalisateur en 2012 pour The Artist. Si le film est résolument tourné «du côté de la vie, pas du côté des ténèbres», quelques images cauchemardesques montrent les visages des camps dans une représentation, dessinée par Michel Hazanavicius, qui fait penser au Cri du peintre norvégien Edvard Munch. «À dire vrai, pour moi, ça vient d’un voyage au Rwanda dans lequel j’ai été sur des lieux de charnier».
«Une vision hallucinante, saisissante que vous ne pouvez pas ne pas relier aux images d’accumulation que vous connaissez d’Auschwitz.» Le réalisateur a également évoqué «une forme d’intimité» dans ce film avec sa famille juive originaire d’Europe de l’Est. «Il y a un lien de fait parce que le père de mon père était lituanien et les autres étaient polonais et ukrainiens. Il y a une résonance et une intimité familiale parce que Jean-Claude Grumberg est le meilleur ami de mes parents.»
Autre voix emblématique et douce du film, celle de l’acteur Jean-Louis Trintignant, décédé en juin 2022, narrateur du film. «C’est le premier truc que j’ai fait. Tout de suite, j’ai voulu que ça soit lui parce que quand j’ai lu le livre, j’ai eu un sentiment d’un classique, d’une histoire qui existait déjà avant même qu’elle ne soit écrite», confie le réalisateur. «Il amène d’abord une intemporalité, quelque chose de l’ordre quasiment de la mythologie du cinéma. Il a ce phrasé, cette voix et c’est un homme qui a traversé tant de choses. Sa voix est chargée d’une émotion particulière.»
Le film se termine avec une forme de message aux révisionnistes : «C’est très « grumberien » de tourner en dérision les pires horreurs, je dirais que c’est très juif, l’humour est la dernière arme de ceux qui n’ont pas d’arme. Face à la haine et l’agressivité, l’humour, la dérision, l’élégance et l’ode à l’amour, c’est la meilleure des réponses».