Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Présenté en avant-première la semaine dernière, Rust, avec Alec Baldwin, rouvre les plaies d’un tournage catastrophe ayant coûté la vie à une directrice de la photographie. Si sa date de sortie n’est pas encore définie, les blessures sont toujours à vif.
Le film Rust, western avec Alec Baldwin dont le tournage a été endeuillé par la mort de sa directrice de la photographie, l’Ukrainienne Halyna Hutchins, a été projeté en première mondiale la semaine dernière lors d’un festival de cinéma en Pologne. Pendant le tournage au Nouveau-Mexique, en octobre 2021, l’acteur américain Alec Baldwin avait brandi une arme censée ne contenir que des balles à blanc mais le projectile était bien réel. Le tir a alors mortellement touché Halyna Hutchins et également blessé le réalisateur Joel Souza. Forcément, cette avant-première ravive les blessures, et continue à mettre le film au second plan.
Ainsi, Alec Baldwin lui-même n’est pas venu au festival, comme l’avaient indiqué les organisateurs, sans donner la raison de son absence. De leur côté, les proches d’Halyna Hutchins, sa mère, son père et sa sœur, ont décidé de boycotter la première du film, accusant l’acteur de ne leur avoir jamais présenté d’excuses et de «refuser d’assumer la responsabilité pour la mort» de la jeune femme. «Il cherche à profiter injustement du meurtre de ma fille. C’est la raison pour laquelle je refuse d’assister» à la projection, a écrit Olga Soloveï, la mère d’Halyna, dans une déclaration.
«Sur une corde raide»
Joel Souza a présenté le film au festival du film Camerimage dédié à l’image dans le cinéma et aux directeurs de la photographie, à Toruń dans le nord de la Pologne. Le festival s’est achevé samedi. Il a évoqué auparavant un «profond effondrement émotionnel» après l’incident tragique. «Rust s’est transformé en une sorte d’ouragan déchaîné. Il ne vous reste plus qu’à recoller les morceaux», a-t-il déclaré. La décision de terminer le film a été la plus difficile à prendre. «Je me suis trouvé vraiment sur une corde raide. Il y a eu un moment où j’ai envisagé de ne plus faire de films du tout», a-t-il dit.
Ce qui l’a finalement convaincu de terminer le film, c’est d’apprendre que le mari d’Halyna Hutchins souhaitait que le public puisse le voir au cinéma. Le concept de Rust est né d’une recherche que Joel Souza avait effectué sur le plus jeune pendu dans l’Ouest américain. Alec Baldwin et lui-même ont développé l’idée originale pour en faire un scénario racontant l’histoire d’un hors-la-loi qui monte à cheval pour sauver son petit-fils de treize ans condamné pour un accident considéré comme un meurtre. À la suite de cette tragédie, l’armurière de la production, Hannah Gutierrez-Reed a été condamnée en avril à 18 mois de prison ferme, pour avoir accidentellement chargé le pistolet de l’acteur avec une vraie balle.
Débat sur les armes à feu
Le procès d’Alec Baldwin pour homicide involontaire sur le tournage de Rust a quant à lui été annulé il y a quatre mois, à cause d’un vice de procédure, alors que des balles en lien avec l’affaire en possession des enquêteurs n’ont pas été transmises à la défense. Le tournage a repris l’an dernier dans le Montana. Halyna Hutchins, qui a grandi en Ukraine, a été désignée par le magazine American Cinematographer comme l’une des étoiles montantes de l’industrie.
La tragédie a suscité des appels à l’interdiction totale des armes à feu sur les plateaux de tournage. Les nouvelles directives de l’industrie sur leur utilisation précisent désormais que seul un armurier peut remettre une arme à un acteur. Dans le cas de Rust, les procureurs ont indiqué qu’Alec Baldwin s’était vu remettre l’arme par le premier assistant réalisateur du film, qui a ensuite plaidé coupable d’utilisation négligente d’une arme mortelle. Selon Joel Souza, ces changements «ne vont pas assez loin. Je pense qu’ils devraient statuer qu’aucune arme réelle ne soit utilisée».
«Myriade de tragédies»
Dans le film, l’étrange parallèle entre l’intrigue et la tragédie réelle apparaît immédiatement – et a littéralement figé la salle selon TMZ et Vulture – lorsque l’un des personnages centraux, un jeune orphelin (joué par Patrick Scott McDermott), tire accidentellement sur un propriétaire de ranch. Le grand-père du garçon, interprété par Alec Baldwin, fait évader le garçon et tente de le mettre à l’abri. «Je pense qu’il est vraiment difficile de faire la part des choses lorsque l’on regarde le film, surtout avec toutes ces armes», a déclaré Samuel Romero, un directeur de la photographie qui a assisté à la projection, au New York Times. Mais plus que cela, c’est l’histoire en elle-même qui touche, «celle d’un orphelin pris dans une myriade de tragédies. On ne peut s’empêcher de penser au fils d’Halyna».
Toujours selon le New York Times, le film, d’une durée de 2 h 13, a d’abord été tourné dans un ranch situé à l’extérieur de Santa Fe. En reprenant la production dans le Montana en 2023, le réalisateur a réécrit le scénario pour exclure la scène de l’église au cours de laquelle la fusillade mortelle s’est produite. Rust, western de facture somme toute assez classique avec ses questions autour de la culpabilité, la famille, la loi et la dévotion, n’a pas encore de date de sortie, aux États-Unis comme pour le reste du monde. Il aura de toute façon du mal à se débarrasser de la curiosité morbide qui l’entoure. À la fin du film, les spectateurs verront même une citation attribuée à Halyna Hutchins, qu’elle répétait régulièrement lorsqu’elle travaillait sur Rust : «Que pouvons-nous faire pour améliorer cela ?».
