L’IA générative est-elle une alliée ou, au contraire, une concurrente des créateurs de musique ? Le débat est animé au cœur de l’industrie musicale, entre ses partisans et ses détracteurs. On fait le point.
Intelligence artificielle : est-ce que j’ai vraiment besoin d’elle?», chante Lulu Gainsbourg dans son titre Elle, sorti en octobre, et qui fait écho aux questionnements voire à l’anxiété des créateurs de musique, bousculés par l’essor de l’IA générative. Le fils de Serge Gainsbourg, qui fredonne encore avec humour «IA, domine-moi», a créé ce morceau après qu’un ami lui a montré une chanson entièrement écrite par l’intelligence artificielle et a raconté sur le réseau social Instagram avoir été «vraiment choqué».
Au contraire, d’autres artistes ont fait le choix de se saisir de cette nouvelle technologie, capable de générer toutes sortes de contenus sur simple requête en langage courant. C’est le cas de la chanteuse britannique Imogen Heap, connue pour son titre Hide and Seek (2005). Elle a créé son propre modèle d’IA à partir de sa voix, qui intervient sur son dernier projet musical. Elle a aussi dévoilé lors du Web Summit, grand rassemblement de la tech qui s’est tenu mi-novembre à Lisbonne, la création d’un filtre permettant à quiconque de générer un son à partir de ses œuvres grâce à un partenariat avec la start-up américaine Jen.
«Choses surprenantes»
La compositrice et interprète canadienne Grimes (photo) a également conçu l’année dernière un clone vocal et invité les internautes à l’utiliser pour donner naissance de nouveaux sons, tandis que la chanteuse américaine Taryn Southern et le groupe YACHT ont sorti des albums entiers composés et produits avec l’aide de l’intelligence artificielle. Ce nouvel outil «permet de faire des choses surprenantes auxquelles on n’aurait pas pensé», souligne François Pachet, chercheur en intelligence artificielle, passé chez Spotify et Sony. Il a ainsi produit dès 2018 l’album Hello World, où les chanteurs belge Stromae et canadienne Kiesza ont collaboré avec l’IA.
Dans ce sens, de nombreuses plateformes de création musicale avec l’intelligence artificielle ont en outre vu le jour, comme Aiva, Suno ou Udio, tandis que des géants comme Meta et Google proposent aussi ce type de services. «Des gens qui ne sont pas du tout musicien peuvent tout à coup faire des chansons entières», s’enthousiasme François Pachet. Sur la scène du Web Summit, le cofondateur de la plateforme Moises, Eddie Hsu, a par exemple montré comment, en une fraction de secondes, l’IA pouvait ajouter de la batterie sur quelques paroles et les transformer en un son de bossa nova.
Mais de nombreuses voix s’élèvent dans l’industrie musicale pour contester la manière dont sont entraînés certains de ces modèles. Aux États-Unis, la Recording Industry Association of America (RIAA), qui représente les plus grosses maisons de disque, a porté plainte en juin contre les start-up Suno et Udio, accusées «de copier le travail d’un artiste et de l’exploiter à leur profit sans consentement, ni rémunération». Plus de 35 000 artistes, dont Thom Yorke de Radiohead, Björn Ulvaeus d’ABBA ou Robert Smith de The Cure, ont par ailleurs signé fin octobre une pétition, dénonçant l’utilisation sans autorisation de leurs créations pour alimenter les algorithmes.
Davantage de transparence
Avec les IA génératives, «il y a des pans entiers de la création musicale qui peuvent être remplacés, comme la sonorisation dans certains magasins, l’habillage de certaines chaînes», détaille Cécile Rap-Veber, directrice générale en France de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), signataire de la pétition. «Malheureusement, c’est toute une tranche moyenne de créateurs qui vivent jusqu’à présent de leur art et qui risquent demain de ne plus pouvoir», ajoute-t-elle.
Les professionnels du secteur réclament alors davantage de transparence de la part des entreprises technologiques, une rémunération pour l’utilisation des œuvres par les IA et la création de nouveaux contenus lorsqu’elles servent à remplacer des œuvres humaines, précise-t-elle. Pour François Pachet, cette avancée technologique va surtout obliger les créateurs «à faire des choses plus originales» puisque «les choses conventionnelles vont pouvoir être faites, en effet, de manière plus ou moins automatique». Quant au remplacement de l’humain par la machine, il n’y croit guère. «Il n’y a pas encore de chanson composée par une intelligence artificielle qui serait tellement bonne que tout le monde voudrait en faire des reprises», fait-il valoir.
Intelligence artificielle : est-ce que j’ai vraiment besoin d’elle?