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[Cinéma] Kneecap tombe la cagoule


Retrouvez la critique cinéma de la semaine.

C’est la semaine irlandaise dans les cinémas du Luxembourg ! Ainsi, à l’écran, l’un de ses emblématiques acteurs, Cillian Murphy (l’ex-Oppenheimer auréolé d’un Oscar), revient sur un ancien scandale impliquant l’Église catholique (Small Things like These). Au même moment, Michael Fassbender, autre célèbre figure locale (bien que née en Allemagne), pointe sa belle gueule burinée dans un film où il est question de sauver une langue «autochtone», le gaélique, qu’il maîtrise à la perfection.

Dans un pied de nez, ou plutôt un doigt d’honneur, à toutes les histoires déjà vues sur Belfast dans son éternelle lutte contre «l’envahisseur» britannique, Kneecap démarre par une série d’explosions, référence évidente à l’IRA. Pour le reste, le film de Rich Peppiatt est un ovni, loin de ces images récurrentes. Ce qui tombe sous le sens quand on connaît son sujet.

Voilà quelques années que celui-ci, depuis son île, se fait un nom sur la scène musicale avec un style explosif, mélange de garage, de drill, de dubstep, de rap, d’EDM et d’électronique. Son nom : Kneecap (que l’on traduirait par «pétage de rotules», référence à une pratique de l’Armée républicaine consistant à punir d’une balle dans le genou les revendeurs de drogue pendant le conflit nord-irlandais).

Sa griffe : libre, grossière et insolente. Aussi provocateur qu’un Banksy, ce trio estampillé hip-hop aime allumer la mèche d’une bombe qu’elle balance à la tronche des Anglais et des politiques de chez eux. En témoigne un second disque ultravitaminé sorti avant l’été, Fine Art, qui porte bien son appellation et qui a fait beaucoup pour la reconnaissance du groupe à l’international.

Chaque mot prononcé en irlandais est une balle tirée pour la liberté de l’Irlande

Mais apparemment, ça ne lui suffisait pas puisqu’il revient mettre une seconde couche avec ce biopic entièrement dédié à son histoire et qui, partout où il est diffusé (notamment à Sundance), marque les esprits comme une cuite à la Guinness.  On retrouve donc dans leurs propres rôles Móglaí Bap et Mo Chara qui, avant de devenir rappeurs, partageaient leur enfance à l’église du coin et l’éducation faite maison d’un activiste, père du second (incarné par Michael Fassbender), qui leur apprend notamment à regarder des westerns «du point du vue des Indiens». On comprend bien l’idée… Devenus jeunes adultes, les deux sales gosses, appartenant à la génération dite du «cessez-le-feu», trompent leur ennui dans la drogue, l’alcool et les fêtes. Et les flics, qu’ils «aiment caillasser», sont là pour leur rendre la vie (encore plus) dure.

Justement, lors d’une garde à vue où Móglaí Bap refuse de parler en anglais, la langue de l’État impérialiste, on fait venir un traducteur, pour le coup un professeur blasé, dont les cours d’irlandais et de musique ne passionnent guère les élèves. Partageant sa vie avec une fervente militante de l’«Irish Language Act», il prend fait et cause pour le délinquant.

Mieux : en tombant sur son carnet de notes où ce dernier empile des textes en gaélique, il décide de dépoussiérer sa vieille table de mixage et d’inviter les deux amis à une répétition, disons, festive. Au bout : des chansons branchées sur 220 volts qui claquent et racontent la glande, la défonce, le sexe et la violence d’un quotidien grisâtre. De peur d’être repéré par son entourage professionnel, l’enseignant enfile une cagoule à trous aux couleurs de l’Irlande. Il devient DJ Próvai et se découvre une seconde jeunesse. Kneecap est né.

Avançant sur un fil tenu (jamais clair) entre fiction et réalité, le film de Rich Peppiatt est aussi percutant qu’un son de grosse caisse sorti d’une Roland TR-808. Sa caméra colle au plus près la musique du trio, en absorbe le côté bruyant, hyperactif, pour le recracher à l’écran. Kneecap est bien sûr un film musical : il ne s’en cache pas en démarrant sous le bruit d’un craquement de vinyle.

Et durant plus d’une heure et demie, il enchaîne les morceaux, sur scène ou en coulisses, avec au passage, quelques invités sur la BO comme les compatriotes de Fontaines D.C. ou Prodigy. Mais Kneecap est aussi un film politique qui, derrière un humour irrévérencieux, facile mais efficace, et des effets stroboscopiques, raconte l’histoire d’un héritage, d’un feu jamais éteint, de traumas toujours à vif. Avec au centre, une langue, «expression d’une identité politique», d’une nation et d’une culture, qu’il faut défendre coûte que coûte.

L’entreprise n’est pas facile. Kneecap se fait beaucoup d’ennemis, surtout depuis qu’il montre à son public, pour de vrai, ses fesses où est écrit au feutre «Brits out!» («Les Anglais dehors!»), ou qu’il lui balance des sachets de fausse cocaïne. Les services secrets, la Couronne, la police et même un groupe paramilitaire sont sur leurs traces.

Mais il en faut plus pour arrêter ces «voyous» qui dérangent les autorités et qui, en plein tournage du film, voient leurs efforts (et ceux de toute une communauté), payer : en 2022, le Parlement du Royaume-Uni a adopté une loi qui reconnaît officiellement le statut de la langue irlandaise en Irlande du Nord et l’importance de sa protection. Un «moment historique» pour le réalisateur, et une importante avancée pour le personnage de Michael Fassbender qui répète : «Chaque mot prononcé en irlandais est une balle tirée pour la liberté de l’Irlande». Hollywood est prévenu : Kneecap est toujours en course pour les Oscars.