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Indemnités chômage : «C’est antieuropéen et discriminatoire tous azimuts»


Pour Pascal Peuvrel (2e à p. de la g.) et Georges Gondon (1er à dr.), le nouveau calcul des indemnités de chômage marque un tournant dans le traitement des frontaliers. (Photo : dr)

Le nouveau calcul des indemnités de chômage des frontaliers français inquiète Pascal Peuvrel et Georges Gondon, deux figures reconnues dans la défense des droits des frontaliers.

Pascal Peuvrel et Georges Gondon ont été frappés par la violence de l’annonce, le 14 novembre, du nouveau calcul de l’indemnisation du chômage des frontaliers français enregistrés auprès de l’organisme national France Travail. Les deux hommes sont pourtant loin d’être étrangers aux questions tenant aux frontaliers.

À Thionville, Pascal Peuvrel, avocat au barreau de Luxembourg depuis 31 ans, préside l’Association des frontaliers au Luxembourg (AFAL) depuis 1998 et a représenté les frontaliers de son pays au sein de l’ancien Conseil national pour étrangers, où a également siégé son binôme belge. Georges Gondon, qui travaille dans l’informatique à Steinfort, a notamment mené la bataille judiciaire, commencée en 2010, de l’affaire des attributions de bourses d’études aux frontaliers. Quatorze ans plus tard, l’ampleur de la déflagration pour les conditions de vie des frontaliers est décuplée et n’augure rien de bon selon eux.

Quelle a été votre réaction à l’annonce du nouveau calcul des indemnités de chômage pour les frontaliers?

Pascal Peuvrel : C’est une chose à laquelle on ne s’attendait strictement pas. C’est profondément choquant, parce que cela ne colle pas. C’est antieuropéen et discriminatoire tous azimuts.

Georges Gondon : J’étais surpris, mais sans vraiment l’être. Depuis un certain nombre de semaines, on a pratiquement tous les jours des annonces par rapport à la situation des frontaliers qui leur tombent dessus. Que ce soit la fiscalité, avec la révision de la convention franco-luxembourgeoise, les pensions ou maintenant le chômage.

En Suisse, des organisations ont annoncé lancer des recours en justice. Qu’en pensez-vous?

G. G. : Encore récemment, j’ai évoqué le fait que nous avions probablement intérêt, en tant que travailleurs frontaliers des différentes zones, à nous fédérer. Alors nous sommes en contact depuis le mois de juillet avec nos amis suisses, car, qu’ils travaillent en Suisse ou au Luxembourg, les frontaliers vivent la même chose. Il est clair que, vis-à-vis des actions en justice, leur point de vue est le bon et est partagé.

P. P. : La base est qu’il existe des règles communautaires, européennes, qui sont forcément appliquées dans le cadre de l’indemnisation des chômeurs frontaliers au Luxembourg ou ailleurs. Si tant est que maintenant la nouvelle sous-catégorie de chômeurs soit créée sans que le règlement en question soit remanié, alors les règles applicables seront directement bafouées.

Surpris, mais sans vraiment l’être

Attendez-vous une réaction du Luxembourg? Si oui, laquelle?

P. P. : Il faut quand même essayer d’être logique et de comprendre la démarche de l’État de résidence. Est-il logique qu’il doive supporter, au bout de trois mois, le chômage pour lequel les frontaliers ont cotisé pour un autre pays? Ce que je ne comprends pas et que je trouve scandaleux, c’est que l’on envisage de pouvoir adopter ce nouveau calcul sans avoir consulté le Grand-Duché, ni s’être concerté et avoir trouvé un accord au préalable avec lui.

G. G. : J’entends aussi que ce sont des frontaliers et les mandataires locaux qui montent au créneau. Je me pose la question : où sont nos députés européens?

Est-ce un tournant historique pour les frontaliers ou une énième dégradation de leurs conditions de travail que vous dénoncez?

P. P. : Cela s’inscrit dans une continuité qui a commencé avec les impôts dans le pays de travail, puis dans le pays de résidence. Cela dépend des points de vue de chacun, mais je crois que l’on pourrait considérer cela comme, à ce jour, la pire des choses qu’on puisse faire aux frontaliers ou qui soit en passe d’être fait. Cela va créer une sous-catégorie de chômeurs, ce qui est un symbole de discrimination.

Et quand les frontaliers ont des préoccupations générales et qu’ils interpellent l’État français, on ne leur répond jamais, parce que l’on considère justement que c’est une part infime de la population active. Mais, d’un autre côté, on sait trouver les frontaliers dans de tels cas. Il y a deux poids, deux mesures, je trouve cela inadmissible.

Les limites de notre construction européenne

La France est-elle le seul pays voisin à serrer la vis pour ses travailleurs frontaliers?

G. G. : Non, c’est pareil en Belgique ou en Allemagne et cela me conduit à la réflexion que nous sommes en train de vivre les limites de notre construction européenne. L’existence de travailleurs frontaliers est liée à cette volonté politique qui consistait à avoir une meilleure mobilité des travailleurs. Mais on se rend compte aujourd’hui qu’en cas de difficultés, en réalité, ce n’est plus une union, mais une confédération d’États qui prennent certains accords les uns avec les autres. Tout comme l’accord de Schengen pour les frontières et les contrôles qui sont faits aujourd’hui. L’Europe n’est pas prise en compte et cela me semble être un tournant.

Comment voyez-vous la suite?

P.  P. : À mon avis, un tas de procédures vont être enclenchées au niveau national en France. Ces procédures vont suivre leur cours et peut-être, cela reste à analyser, ont des chances de se retrouver devant la Cour de justice de l’Union européenne. Mais il est possible que les frontaliers qui seront lésés ne feront pas tous un recours, et l’État mise dessus.

Il utilisera la durée et la lenteur des procédures afin de faire des économies d’échelle, parce que, tant que cela durera et que des gens auront peur de recourir à la justice, cela sera autant d’argent de gagné. À la fin, si l’État est condamné, cela sera rétroactif dans très peu de cas, sauf pour ceux qui auront fait des recours depuis le début. Je vous laisse donc imaginer les gains que l’État peut faire.

Sinon, on sait que, du côté luxembourgeois, on voit poindre à l’horizon le débat sur les pensions, et quelque chose va aussi se passer. Je ne sais pas si les frontaliers seront impactés, mais c’est quand même inquiétant pour la suite.

Piquet de protestation ce matin

En réaction au nouveau mode de calcul des indemnités de chômage versées aux frontaliers français dévoilé le 14 novembre, les syndicats LCGB et OGBL avaient réagi dans la foulée, le lendemain. Consternés, ils avaient annoncé «se concerter pour apporter une réponse forte et unitaire à cette nouvelle discrimination envers les frontaliers». La première étape se déroule ce matin avec un piquet de protestation organisé à 10 h 30 devant le ministère des Finances, à Luxembourg.

Frontaliers Luxembourg, une toute jeune ASBL

Fondée le 6 juin dernier, l’ASBL Frontaliers Luxembourg se distingue de toutes les organisations, associations ou collectifs de frontaliers déjà existants, puisqu’il s’agit d’une association de droit luxembourgeois. Basée à Luxembourg, l’ASBL entend apporter une expertise, venue de ses membres, afin de régler en amont les problèmes rencontrés par les frontaliers et de les soutenir dans leurs recours juridiques ou leurs mobilisations. L’association est encore en développement. Un logo et une adresse mail sont en cours d’élaboration.

Ensemble des allocataires frontaliers français indemnisés, d’après les chiffres du Fichier national des allocataires (FNA) et les calculs de l’Unédic, qui gère l’assurance chômage en France. Illustration : unédic