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«Un projet budgétaire sur le dos des frontaliers»


Les travailleurs frontaliers sont de plus en plus diabolisés dans leur pays, estiment les syndicats luxembourgeois.

Après l’annonce de coupes drastiques dans les indemnités chômage des frontaliers français, les syndicats LGCB et OGBL sont vent debout, rejoints lundi par deux députés lorrains.

Après les bourses d’études refusées aux enfants des travailleurs frontaliers, le non-versement des allocations familiales pour leurs enfants non biologiques, la nouvelle convention fiscale avec la France pénalisant les couples qui exercent de part et d’autre de la frontière, et dernièrement, la décision de l’Allemagne de taxer les heures supplémentaires de ses ressortissants en poste au Luxembourg, une énième discrimination visant directement les frontaliers a été annoncée vendredi.

En France, les partenaires sociaux se sont accordés sur un nouveau mode de calcul des indemnités chômage versées aux Français qui travaillent dans un pays voisin. Ainsi, à partir du 1ᵉʳ janvier, les frontaliers français qui perdraient leur emploi au Grand-Duché verront leur indemnité chômage réduite de moitié. Sachant que celle-ci ne représente déjà que 57 % des derniers salaires (contre 80 à 85 % au Luxembourg), autant dire qu’il ne restera plus grand-chose.

«Faire rentrer l’argent dans les caisses»

De quoi faire bondir les syndicats LCGB et OGBL qui annoncent déjà une mobilisation vendredi à 10 h 30 devant le ministère des Finances. «C’est un projet purement budgétaire qui se fait sur le dos des frontaliers», enrage Christophe Knebeler au LCGB. «Alors que certains dossiers sont bloqués – rétrocessions fiscales, paiement des indemnités chômage par le pays d’emploi – on y voit un moyen de pression de l’État français sur le Luxembourg pour faire rentrer de l’argent dans les caisses.»

Même colère du côté de l’OGBL qui dénonce une discrimination manifeste : «Aujourd’hui, deux résidents français qui se retrouvent au chômage après avoir travaillé en France, en Belgique, au Luxembourg ou en Allemagne, reçoivent les mêmes indemnités. Désormais, celui qui aura été employé au Luxembourg touchera moitié moins, selon un coefficient établi, ce qui est inacceptable», explique Jean-Luc De Matteis. Des coefficients fixés en fonction du niveau de salaire dans le pays d’emploi, et qui n’ont pas été officiellement communiqués par l’Unédic. Néanmoins, selon des informations ayant fuité dans la presse, le coefficient applicable au Luxembourg serait de 0,5 %.

Des «Français de seconde zone»

Le représentant syndical pointe une volonté de plus en plus assumée de diaboliser les travailleurs frontaliers dans leur pays : «Ces personnes fournissent des efforts considérables pour travailler au Luxembourg, avec un volume d’heures hebdomadaire plus important, sans compter le temps passé sur le trajet. Avec cette règle de calcul, on leur dit qu’ils sont des Français de seconde zone», déplore-t-il, craignant que la prochaine étape ne soit la remise en cause pure et simple de l’allocation chômage aux frontaliers.

Car, depuis 2016, la question du paiement de ces indemnités fait débat au niveau européen. Si actuellement, la prise en charge des demandeurs d’emploi incombe à leur pays de résidence, l’Europe envisage de faire payer le dernier pays d’emploi. Or, le Grand-Duché, seul État membre à afficher 47 % de non-résidents parmi ses actifs, freine des quatre fers.

«Des avantages rabotés les uns après les autres»

Autre conséquence directe de cette décision, la perte d’attractivité du Luxembourg, déjà en proie à de sérieuses pénuries de main-d’œuvre. «Ces salariés frontaliers acceptent l’impact négatif d’un emploi au Luxembourg sur leur qualité de vie, car il y a des avantages. Or, ces dernières années, ils sont rabotés les uns après les autres. Ils pourraient bientôt se demander si tout ça en vaut encore la peine», alerte Christophe Knebeler.

Les syndicats luxembourgeois font front commun dans cette bataille. «Par respect pour tous les frontaliers qui travaillent chaque jour dans le pays, le Luxembourg doit faire son maximum pour empêcher cette disposition», insiste l’OGBL, tandis que toutes les pistes sont envisagées. D’abord, prendre contact au plus vite avec les responsables politiques concernés, afin qu’ils se saisissent du dossier et entament un dialogue avec leurs homologues à Paris. Ensuite, une action en justice n’est pas écartée pour faire respecter les textes européens en matière de libre circulation des travailleurs et les principes de non-discrimination.

Piquet de protestation OGBL/LCGB, vendredi 22 novembre, à 10 h 30, au ministère des Finances, 3, rue de la Congrégation à Luxembourg

16 676 frontaliers indemnisés en 2023

Les statistiques publiées par l’Unédic – organisme responsable de la coordination du versement des allocations chômage en France – sont claires : l’an dernier, sur les 76 937 frontaliers français indemnisés au titre du chômage, seuls 16 676 avaient perdu leur emploi au Grand-Duché. En moyenne, ils ont touché une allocation mensuelle de 1 781 euros. Rappelons que les Français sont 123 000 à travailler au Luxembourg, ce qui représente plus de la moitié des 228 000 frontaliers.

Au total, l’Unédic a versé 164 millions d’euros en 2023 pour les chômeurs frontaliers ayant travaillé au Luxembourg, et il a reçu 27 millions d’euros de la part de son voisin, conformément à l’accord européen en vigueur (le Luxembourg prend à sa charge cinq mois d’indemnités). La France a donc déboursé 137 millions d’euros au final. Bien loin des 563 millions d’euros nécessaires à l’indemnisation des frontaliers ayant travaillé en Suisse, qui eux, ont reçu en moyenne 2 670 euros mensuels.

«Pourquoi discriminer ces personnes ?»

Deux élus mosellans demandent au gouvernement français de s’attaquer au système et pas aux frontaliers.

Hier, la députée de centre droit Isabelle Rauch (Horizons) et son suppléant Lucas Grandjean (LR), ont exprimé leur inquiétude quant à cette nouvelle règle dans un communiqué.

«Nous ne pouvons nous satisfaire du sort réservé aux travailleurs frontaliers dans cet accord», s’agacent-ils. «Appliquer un coefficient réducteur à l’indemnité chômage des travailleurs frontaliers est discriminatoire, et ne respecte ni nos principes, ni des décisions de justice antérieures.» S’ils reconnaissent que des économies sont nécessaires, ils estiment qu’elles ne peuvent se faire «au détriment de 77 000 personnes ayant exercé dans un pays frontalier et aujourd’hui au chômage», soulignant qu’elles supporteraient alors 60 % de l’effort quand elles ne représentent que 0,3 % des chômeurs en France.

«Pourquoi discriminer ces personnes alors qu’elles ont dépensé leurs revenus, souvent plus élevés, dans nos bassins de vie et ont ainsi permis de contribuer à l’emploi? Il est plus qu’urgent de modifier la véritable source du problème, c’est-à-dire le fait que ces frontaliers ont cotisé des droits au chômage dans un État qui ne les indemnise pas», font-ils valoir.

Comme la Commission européenne a proposé une révision du règlement européen 883/2004 qui attribuerait la responsabilité du versement des prestations de chômage à l’État du dernier emploi, ils pointent le fait que cette mesure d’économie sera remise en cause d’ici quelques mois et y voient «un non-sens total pour nos finances publiques».

Ils demandent que cette disposition incluse dans l’accord trouvé entre partenaires sociaux soit supprimée, et que la France agisse au niveau européen «pour que les négociations sur cette révision aboutisse au plus vite».