Pensée unique sur grand écran

L’annonce du rachat du réseau luxembourgeois de salles de cinéma Utopia SA par les Belges de Kinepolis pourrait passer inaperçue, au grand jeu du capitalisme roi. Il n’est pas rare de voir une société en racheter une autre dans l’indifférence générale. Mais lorsque ces transactions touchent à la culture, il faut les observer avec attention.

Kinepolis, depuis des années, a inventé la formule d’un cinéma de masse où la priorité va aux grosses productions. Dans ses multiplexes de Metz et de Thionville, les plus proches du Luxembourg, il n’est pas rare de voir un film monopoliser plusieurs écrans. En 2D, en 3D, la prime va souvent au plus fort. Et il est souvent américain.

Dans un mois, à l’occasion de la sortie du septième épisode de la saga La Guerre des étoiles, combien de salles seront abandonnées au culte de la Force ? Sans préjuger de la qualité de ce film, il est peu probable que le réseau Kinepolis choisisse alors de mettre ses œufs ailleurs que dans le même panier.

L’inquiétude des cinéphiles, nombreux dans la Grande Région, est de voir leur choix se réduire comme peau de chagrin. Alors que les salles d’art et essai résistent comme elles peuvent, le spectre de voir les Utopolis de Belval, Longwy et Luxembourg devenir des déclinaisons de ceux de Thionville et Metz, est réel.

Or, le cinéma n’est jamais plus fort que quand il est divers. Lorsqu’il vient du monde entier et qu’il se montre protéiforme. Comme le montre, depuis des années, le cinéma Utopia de Luxembourg. Comme le prouvent les deux multiplexes Utopolis du Grand-Duché, qui ont su développer une identité propre.

Le groupe Kinepolis, champion de la rentabilité du septième art, va-t-il s’en prendre à cette identité ? Va-t-il convertir son achat en gigantesque machine à cash et oublier le délicat équilibre de la programmation dans un pays où les nationalités, les langues et les personnalités se mélangent chaque jour pour offrir un magnifique terrain d’exploitation aux films du monde entier ? Les cinéphiles le sauront très rapidement.

Christophe Chohin (cchohin@lequotidien.lu)