Un an après sa prise de fonction, le gouvernement CSV-DP estime être engagé sur la bonne voie pour «bâtir le Luxembourg de demain». Des tensions accompagnent cette entreprise.
Renforcer le Luxembourg pour l’avenir et assurer la cohésion sociale. C’est la tâche que l’on s’est fixée pour les cinq années à venir», clamait le Premier ministre, Luc Frieden, lors de sa déclaration gouvernementale en date du 22 novembre 2023 devant la Chambre des députés. Cinq jours plus tôt, le 17 novembre, les ministres du nouveau gouvernement, formé par le CSV et le DP, avaient prêté serment devant le Grand-Duc.
Que peut-on retenir de la première année de l’exécutif, venu prendre après les élections législatives du 8 octobre 2023 le relais de la coalition tricolore, formée depuis 2013 par le DP, le LSAP et déi gréng? Il n’est pas à nier que l’équipe gouvernementale emmenée par Luc Frieden (CSV) et Xavier Bettel (DP) a fait preuve d’un important élan. Un élan qui a provoqué une série de faux pas, dérapages et erreurs de communication.
«Notre objectif reste inchangé»
Sur la forme, toutefois, d’importants chantiers comme la crise du logement et le renforcement du pouvoir d’achat ont été abordés de manière offensive. Des tensions ont accompagné différentes initiatives, notamment autour de l’interdiction de la mendicité à Luxembourg ou la réforme du droit du travail. Le gouvernement a aussi été confronté à une crise majeure dans le secteur social avec l’affaire de détournement de 61 millions d’euros ayant fait couler Caritas.
La simplification administrative est un des fils rouges qui doivent contribuer à «bâtir le Luxembourg de demain», comme le soulignait Luc Frieden, le 11 juin, lors de sa première déclaration sur l’état de la Nation. «Depuis notre assermentation, cet objectif reste inchangé et le gouvernement y travaille chaque jour, tant sur le plan national qu’à l’étranger», ajoutait le Premier ministre, qui s’est vu beaucoup reprocher son intention de vouloir diriger le pays tel un CEO (ou directeur général).
Une autre volonté est l’échange régulier avec les acteurs du terrain, par exemple dans les domaines du logement, de l’agriculture et de l’énergie renouvelable, pour ficeler des paquets visant à faire avancer les différents secteurs et projets. La coopération renforcée entre les différents ministères concernés doit permettre d’accélérer la préparation et la mise en œuvre de la feuille de route pour faciliter et accélérer la création de logements ou encore la panoplie d’allègements fiscaux. Le développement accéléré des énergies renouvelables vient compléter les grandes initiatives prises ces derniers mois.
Le tout est encadré par un budget de l’État qui prévoit, pour 2025, des dépenses de 30,9 milliards d’euros et des recettes de 29,6 milliards d’euros. Le déficit de 1,29 milliard d’euros est inférieur aux prévisions de début 2024. La dette publique doit baisser progressivement jusqu’en 2028.
Les premiers jalons sont donc posés, en attendant les prochains grands défis : la consolidation du système des pensions ou l’individualisation de l’imposition.
Une des premières décisions du nouveau ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, fut la validation de l’interdiction de la mendicité agressive et en bande dans certaines rues de la capitale. Dans les faits, le règlement de police de la Ville visait aussi la mendicité simple, ce qui a provoqué un important désarroi. Fin décembre 2023, le domicile du ministre chrétien-social a même été vandalisé.
En janvier, un large dispositif de police a commencé à être mobilisé pour faire respecter l’interdiction. Le déploiement d’agents de la police judiciaire n’a été qu’un élément venu créer des tensions avec la justice. Le fait que cette action visait aussi d’autres formes de criminalité est largement passé inaperçu. Mais, en fin de compte, les responsables politiques se sont félicités du succès de l’opération, même si très peu de poursuites judiciaires ont été engagées. La ministre de la Justice, Elisabeth Margue, s’apprête à supprimer la mendicité simple du code pénal.
En juin, le projet pilote d’une police locale a été lancé, dans la volonté de renforcer la proximité avec les citoyens.
Un des engagements majeurs du gouvernement est d’alléger la charge fiscale. «Nous nous sommes engagés pour que les gens gardent un plus grand revenu net par rapport au revenu brut, dans le but de renforcer leur pouvoir d’achat», rappelait le Premier ministre lors de sa déclaration sur l’état de la Nation. Une première adaptation du barème fiscale, équivalant à quatre tranches indiciaires, appliquée depuis janvier de cette année, sera suivie par une seconde adaptation au 1er janvier prochain, à hauteur de deux tranches et demie supplémentaires.
En parallèle, le ministre des Finances, Gilles Roth, a dévoilé à la mi-juillet un plus large paquet fiscal qui doit en premier lieu profiter aux ménages monoparentaux et aux bas salaires. Ces mesures sont censées contribuer à la lutte contre la pauvreté, une «priorité absolue» pour le gouvernement. En 2025, un guichet social unique pour se voir octroyer la large panoplie d’aides sociales est supposé voir le jour, accompagné d’un plan d’action contre la pauvreté. La simplification administrative sera un élément clé.
Fin juin, le gouvernement a dévoilé sa feuille de route pour faciliter et accélérer la création de logements. La simplification des procédures constitue la fondation de ce plan d’action doté de 40 mesures. Parmi les mesures phares se trouve une accélération des procédures d’autorisation, grâce à une simplification des normes et des procédures devant aboutir à un règlement national sur les bâtisses. L’autre grande nouveauté est l’introduction du principe «silence vaut accord». De plus sont prévus un renforcement des missions d’assistance pour les acteurs de la construction et une digitalisation des procédures.
Il est également prévu d’impliquer davantage les promoteurs privés dans les projets de construction de nouveaux logements en leur accordant différents avantages fiscaux. Un premier paquet lancé en début d’année avait le même objectif. Lors du dépôt du budget 2025, le ministre des Finances a en outre annoncé que les frais d’enregistrement dans le cadre de l’acquisition d’un bien immobilier – existant ou nouveau – sont réduits de moitié entre le 1er octobre 2024 et le 30 juin 2025.
Le 19 juillet éclate l’affaire Caritas. Victime d’un détournement de 61 millions d’euros, la Fondation n’est plus en mesure d’assurer ses missions au profit de personnes démunies. L’ONG exécutait bon nombre de missions pour le compte de l’État.
Dans un premier temps, le Premier ministre avait exclu de débloquer des fonds pour maintenir en vie Caritas. Un comité de crise a été mis en place pour sauvegarder au moins les activités nationales. La nouvelle association Hëllef um Terrain (HUT) est opérationnelle depuis le 1er octobre dernier. Elle bénéficie de conventions de financement renégociées avec les ministères concernés. Le transfert de quelque 330 salariés de Caritas vers HUT ne s’est pas passé sans heurts avec le camp syndical.
Le gouvernement a entretemps octroyé un prêt situé entre 4 et 5 millions d’euros afin de permettre à Caritas une liquidation en bonne et due forme. La reprise en main de certains projets d’aide internationale reste à l’étude. Désormais, une commission spéciale de la Chambre est notamment chargée d’évaluer si le gouvernement a joué un rôle adéquat dans l’affaire Caritas.
Le ministre Serge Wilmes se trouve face à la mission épineuse de défendre la protection de l’environnement et du climat, sans bloquer la construction renforcée de logements ou le développement de l’activité agricole.
Une nouvelle fois, la simplification administrative est le mot d’ordre pour atteindre les ambitieux objectifs que s’est fixés le gouvernement. Des solutions pragmatiques sont mises en avant, notamment dans le domaine agricole. La ministre Martine Hansen a connu une véritable lune de miel avec les représentants d’un secteur qui estime avoir été trop lourdement mis à contribution par l’ancien gouvernement.
L’agriculture doit dans la mesure du possible contribuer à atteindre les objectifs climatiques que la nouvelle coalition n’a pas remis en question. L’annonce du Premier ministre de viser «une politique environnementale et climatique qui suscite l’enthousiasme des gens plutôt que de les agacer» a cependant suscité de vives réactions.
Les aides pour soutenir la mobilité électrique ont fait aussi l’objet d’adaptations financières.
Encore avant l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, le camp syndical voyait d’un œil très critique l’action à venir du CSV et du DP. OGBL et LCGB voient aujourd’hui leurs craintes confirmées. En cause, une «attaque inédite» contre les syndicats, comme cela est dénoncé par Nora Back, la présidente de l’OGBL.
Le ministre du Travail, Georges Mischo, est venu mettre le feu aux poudres en annonçant courant octobre vouloir revoir le cadre légal sur les conventions collectives. Entretemps, il a fait en partie marche arrière, en précisant que les syndicats vont bien rester les seuls à pouvoir négocier de telles conventions. Certains éléments pourraient toutefois être sortis de ce cadre. Après un clash, le dialogue a été renoué. Le Premier ministre, Luc Frieden, ne voit pas de conflit majeur.
L’autre grand point de discorde est la réforme envisagée du système des pensions. OGBL, LCGB et CGFP, rejoints par l’ALEBA, sont vent debout contre toute détérioration des prestations. La ministre Martine Deprez a entamé des consultations. De premières conclusions sont attendues au printemps 2025.