En 2000, Ridley Scott réhabilitait le péplum avec Gladiator. Vingt-quatre ans plus tard, le réalisateur anglais sort la suite de son blockbuster : l’épique vire au boursouflé.
Aussi vieux que le cinéma
En 1954, le magazine Time parle de Cinecittà comme d’une usine à rêves, la rebaptisant «Le nouvel Hollywood sur le Tibre». Peinte en diva, c’est l’actrice Gina Lollobrigida qui apparaît sur la couverture : selon l’hebdo américain, les vedettes italiennes rivalisent avec leurs stars. Après la guerre, Cinecittà offre un coût de production moins élevé qu’à Hollywood et accueille alors une ribambelle de tournages américains, parmi lesquels des péplums. Cela dit, même si pléthore de ces films viennent d’Amérique, à l’instar de Ben Hur (William Wyler, 1959) ou de The Ten Commandments (Cecil B. DeMille, 1956), il faut rendre à César ce qui appartient à César : le péplum naît en Italie. Ses pionniers? Enrico Guazzoni, le réalisateur de Quo vadis (1913), et Giovanni Pastrone, celui de Cabiria (1914), où apparaît, pour la première fois, Maciste, figure emblématique du genre. Toujours est-il que l’âge d’or du péplum coïncide bien avec celui de Cinecittà et cette couverture du Time.
Le péplum, qu’est-ce exactement? Le mot a deux significations. La première désigne une tunique féminine du style dorien, portée dans la Grèce antique; on l’appelle aussi «péplos». La seconde renvoie au genre de cinéma historique qui se déroule dans l’Antiquité (Grèce, Rome et Égypte) : le terme naît en 1953, avec le long métrage de Henry Koster, intitulé… The Robe (en français La Tunique). Et, tiens, comment s’appelle sa suite, réalisée par Delmer Deves et sortie en 1954? Demetrius and the Gladiators (en VF… Les Gladiateurs)! Alors que le genre est tombé aux oubliettes depuis des lustres (la fin des années 1960), en 2000, Ridley Scott lui donne un nouveau souffle avec Gladiator.
Du sang, de la sueur et des larmes
Dans les films de Quentin Tarantino, tous les genres ont eu droit à une réhabilitation – westerns spaghetti, arts martiaux, blaxploitation… Tous? Pas le péplum. En 2008, Claude Aziza publie un livre au titre éloquent, Le Péplum, un mauvais genre. Mais que reproche-t-on au péplum? Le fait d’être le genre du mauvais goût, des outrances et des ostentations; la délicatesse et la subtilité ne sont pas ses meilleures amies. En reprenant ses codes, le Gladiator de Scott ne lésine pas sur les moyens pour arriver à ses ambitions : mélo, action, spectacle. Les chiffres impressionnent : on parle de 10 000 costumes et de plus de 2 500 armes, parmi lesquelles des lances, des arbalètes ou des sabres. Quant à Russell Crowe et Joaquin Phoenix, ils jouent à l’écran comme à l’amphithéâtre. Et puis, avec la musique emphatique de Hans Zimmer, on s’en prend plein les yeux, de larmes. Car – spoiler – le héros, Maximus, meurt à la fin.
Bien plus qu’un simple exercice de style, un hommage au genre ou un remake postmoderne de Spartacus (Stanley Kubrick, 1960) ou de The Fall of the Roman Empire (Anthony Mann, 1964), Gladiator est aussi bien plus qu’un bon péplum : c’est un bon film. Gladiator ouvre la voie à une série d’autres longs métrages, qu’il s’agisse de Troy (Wolfgang Petersen, 2004) ou de 300 (Zack Snyder, 2006). Et, vingt-quatre ans plus tard, à sa propre suite, Gladiator II, réalisée par le même Ridley Scott.
Un film culte
La suite de Gladiator doit, à la base, voir le jour très peu de temps après le succès du premier (dithyrambes critiques, engouement du public, cinq Oscars). Il existe une pelletée de scripts, rédigés notamment par Nick Cave, où il est question de résurrection. Mais, depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et les films précités – auxquels on peut ajouter le fastueux Noah (Darren Aronofsky, 2014) ainsi que le métaphysique Agora (Alejandro Amenábar, 2009) – font que Gladiator n’est pas tombé, à son tour, dans l’oubli, mais est devenu un film repère du néo-péplum. C’est-à-dire dans son domaine, spectaculaire. Le péplum, c’est quoi, sinon l’ancêtre (et le contemporain) du film d’aventures, puis d’action? En tout cas, il s’agit d’un genre mouvant.
En fait, c’est comme si le Gladiator de Ridley Scott avait redonné ses lettres de noblesse à un cinéma qui aurait trop mangé le sable, en même temps qu’il hurlait sa victoire à l’intérieur de son propre genre; si Russell Crowe meurt à la fin, au moins le péplum repart gagnant. Au point de pouvoir presque troquer les cinq dernières lettres, «ciste», de Maciste, pour les remplacer par cinq autres, «ximus». En 2016, le remake de Ben-Hur, par Timur Bekmambetov, ridiculise la version originelle et remet le Gladiator de Scott tout en haut du podium rayon néo-péplum. Il n’y a rien à ajouter. Mais pourquoi alors relancer la machine?
Une suite écrasante
Depuis Robin Hood (2010), Ridley Scott est autant un «filmmaker», pour reprendre le mot anglais, qu’un «filmremaker», pour en inventer un. Du mythe de Robin des Bois, donc, à Prometheus (2012) comme préquel détourné de son Alien, en passant par Alien : Covenant (2017), le cinéaste britannique refait. Avec un nouveau casting. Dans Gladiator II, Paul Mescal endosse le costume du héros, Denzel Washington semble, parfois, s’être trompé de plateau (croit-il être en 2007, sur le tournage d’American Gangster, du même Scott?). Pour le reste, le film est quasi choral, il y a un complot politique, Game of Thrones est passé par là, et la présence de Pedro Pascal ressemble à un clin d’œil appuyé à la série. L’évolution technologique justifie le retour et l’enthousiasme de Ridley Scott quand il s’agit de jouer avec.
Si, au sujet d’un certain cinéma trop esthétisant et expérimental, certains décrètent que «ça a sa place dans les galeries d’art», alors un film comme Gladiator II aurait la sienne dans un parc d’attractions. Ou plutôt non, au contraire. À l’ère du streaming et du «binge-watching» sur petit écran, c’est bien dans les salles obscures que le film doit vivre. Car il revient à la source du cinéma : le spectacle. Mais, en plus d’être parfois ampoulé, celui-ci s’avère fort mal dosé. Parmi les critiques les plus virulentes, on a souvent reproché au péplum de vouloir se faire plus gros que le bœuf; il n’y aurait rien de pire que le monumental en carton-pâte. Caligula (Tinto Brass, 1979) est un exemple de film qui, parce qu’il déborde de partout, possède le charme de son abondance. Gladiator II, c’est une autre paire de manches : à gros sabots (spoiler bis : de rhinocéros), les débordements écrasent le film lui-même. Et Gladiator II de bien ressembler à un péplum, mais à un péplum qui en fait trop, ce qui renvoie ici à un pléonasme.
Gladiator II,
de Ridley Scott.