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Les réfugiés, des clients de la microfinance comme les autres


Si la situation des réfugiés comporte des défis, ils sont loin d’être une menace pour un programme de microfinance. (Photo : archives lq)

Cette année, la Semaine européenne de la microfinance valorise l’inclusion financière pour les réfugiés, encore perçus – à tort – comme des clients plus risqués par les investisseurs.

C’est à Luxembourg que se déroule ces jours-ci l’un des temps forts du secteur de l’inclusion financière, réunissant plusieurs centaines de professionnels venus du monde entier. La Semaine européenne de la microfinance, organisée à Neimënster, s’impose en effet comme incontournable pour découvrir les innovations, les tendances et les opportunités dans la finance inclusive.

Parmi les nombreux thèmes au programme – numérisation, protection des clients, finance inclusive verte, investissement – cette édition met un accent particulier sur le financement des réfugiés. À cause des défis spécifiques et de l’instabilité liés à leur situation, ces personnes continuent d’apparaître comme des clients à risque aux yeux des investisseurs. Des préjugés que certains acteurs de la finance inclusive s’emploient à contrer.

À l’image de Philippe Guichandut, directeur du développement à la Fondation Grameen Crédit-agricole et membre du conseil de InFine (Luxembourg Inclusive Finance Network) : «Il y a une mauvaise compréhension des enjeux. Dans les faits, les réfugiés sont des clients de la microfinance comme les autres.»

En Ouganda, sa fondation a ainsi ouvert des agences dans les camps de réfugiés, choisissant de recruter directement parmi les habitants sur place pour éviter tout biais ou idée préconçue. La population a pu suivre des sessions d’éducation financière, afin de comprendre les principes du microcrédit, tandis que le personnel des institutions de microfinance locales a été spécialement sensibilisé.

«Depuis une quinzaine d’années, il y a cette réflexion dans le milieu des ONG sur la façon de passer de la distribution de cash à une approche incluant des prêts pour accompagner la sortie de la dépendance aux institutions.» Un enjeu crucial pour ces populations fragilisées ayant quitté leur pays dans des conditions difficiles, souvent sans papiers ni argent, car une fois le statut de réfugié obtenu, l’aide humanitaire se réduit. Ils doivent alors retrouver une activité pour subvenir eux-mêmes à leurs besoins.

«Certains étaient diplômés dans leur pays d’origine, d’autres étaient entrepreneurs. Or, en tant que réfugié, tout est plus compliqué», poursuit l’expert. En premier lieu parce que les banques doivent pouvoir établir formellement l’identité de la personne qui reçoit les fonds. Un obstacle de taille en l’absence de documents d’identité. Mais une fois passé cette formalité, le niveau de risque est le même que pour n’importe quel client, insiste Philippe Guychandut.

En parallèle, les banques craignent de perdre leur argent si les réfugiés retournent dans leur pays ou sont envoyés ailleurs. Mais les données collectées sur le terrain montrent le contraire : «La part de réfugiés déplacés dans un autre pays est extrêmement faible. Et on sait qu’ils restent en moyenne une dizaine d’années dans un camp», assure-t-il. «Pas de quoi menacer un programme de microfinance.»

C’est pourquoi, selon lui, recourir à un produit financier spécifique pour ce type de clients n’est ni utile ni souhaitable : «Cela renforcerait automatiquement les discriminations, et créerait aussi des tensions entre les différentes communautés», estime-t-il.

Un réel impact sur la deuxième génération

Pour l’avenir, les challenges à relever en matière de finance inclusive sont multiples : comment toucher davantage de personnes et contribuer aux objectifs de développement durable fixés par l’ONU pour 2030? Comment attirer et convaincre plus d’investisseurs? «On doit également trouver un moyen efficace de prouver notre impact, montrer en quoi on a amélioré l’accès à l’eau, à l’énergie, l’habitat des réfugiés», note Philippe Guychandut, qui souligne que l’approche basée uniquement sur la rentabilité doit aujourd’hui évoluer.

«Le retour sur investissement n’est pas que financier, il se mesure aussi au plan social et à travers l’amélioration des conditions de vie des personnes. Les principes aux origines même de la microfinance», conclut-il, ajoutant que le véritable impact est sans doute celui qu’il observe aujourd’hui au sein de la deuxième génération. Des enfants dont la vie a changé grâce au microcrédit contracté par leurs parents, qui ont pu suivre des études et qui construisent désormais leur propre business.