En duo avec Alexis Ducord, Winshluss adapte pour le grand écran son conte graphique Dans la forêt sombre et mystérieuse : une aventure «exubérante», drôle, engagée et doucement trash, coproduite par le studio luxembourgeois Zeilt.
Avec le temps, on a appris qu’il y a plusieurs facettes à Winshluss. Ses admirateurs de la première heure mettront en avant l’auteur de BD underground à l’humour joyeusement crade (Wizz et Buzz, 2006) ou carrément hardcore (Monsieur Ferraille, 2001), d’autres seront plus sensibles aux récits d’envergure qu’il investit de son coup de crayon et de son ton radicaux (sa relecture de Pinocchio, 2008; sa parodie de la Bible, In God We Trust, 2013; son récit de l’apocalypse, J’ai tué le soleil, 2021).
D’autres encore, peut-être plus ciné que bédéphiles, connaîtront mieux Vincent Paronnaud, son nom à l’état civil, comme coréalisateur avec Marjane Satrapi de Persepolis (2007) et Poulet aux prunes (2011). Quoi qu’il en soit, au milieu de cette riche et immense carrière, il publie en 2016 le conte graphique Dans la forêt sombre et mystérieuse, destiné au jeune public et publié, non plus chez des indés turbulents, mais chez Gallimard.
Un pas de côté suprême et, finalement, l’un de ses albums majeurs, récompensé par la Pépite d’or au Salon du livre jeunesse de Montreuil. L’auteur assume : «Je n’aurais jamais dessiné cet album si je n’avais pas eu d’enfants.» Et constate, une quinzaine d’années après son Fauve d’or à Angoulême pour Pinocchio ainsi qu’un prix du jury à Cannes et deux César pour Persepolis, qu’il est «devenu « transgénérationnel » (…) les 15-16 ans me connaissent».
Alors que sort en salles son cinquième long métrage – le premier qui le voit adapter l’une de ses propres œuvres –, Vincent Paronnaud a certes élargi son public mais continue de porter sa liberté en étendard. Mieux que ça, il la partage ici avec Alexis Ducord, coréalisateur d’Angelo dans la forêt mystérieuse, qui traduit le trait acéré et «grotesque» de Winshluss en graphisme 3D aux allures de «cartoon».
Au scénario, le seul Paronnaud s’est employé à «tout réécrire pour des enfants de 6 à 14 ans, en employant une sorte de premier degré sans craindre les clichés sur lesquels on pouvait greffer du second degré».
Les grandes lignes de l’histoire d’origine restent inchangées : Angelo, 10 ans, est oublié par ses parents sur une aire d’autoroute alors que sa famille doit se rendre au chevet de la grand-mère malade.
Le garçon, qui rêve d’aventures, décide de finir le chemin tout seul en coupant par la forêt, peuplée de créatures mystérieuses et menacée par de terribles ennemis. Derrière le «conte initiatique», Winshluss assure que «le champ des possibles était énorme» et que «très vite, on ne pensait plus au livre».
De fait, plus qu’une adaptation cherchant à tout prix la fidélité ou – pire – le respect des conventions de l’animation pour enfants, l’auteur et coréalisateur réinvente son œuvre avec une attention toute particulière pour «ce que ça raconte» et, surtout, sans avoir «peur de l’exubérance».
Celui qui, déjà en 2008, affirmait dans les colonnes du Quotidien son goût pour «pervertir le conte (…) en y mettant une part d’ambiguïté ou de trash» n’a rien perdu de son mordant, même réajusté dans le contexte du cinéma d’animation tous publics.
Ainsi, la BD et le film ont «la même saveur mais sont faits avec des ingrédients différents». Les personnages marquants de l’œuvre originelle sont bien présents (l’ogre bleu, le crapaud fumeur de cigares et narrateur de l’histoire, l’arbre humanoïde, le nuage sentimental…), et deux autres ont été créés pour l’occasion : le terrible Ultra, dictateur-robot qui menace la forêt de destruction – un personnage qui évoque de vrais méchants puissants bien réels et créé en partie, admet Winshluss, pour le «plaisir de détruire ce genre de tyrans» –, et Zaza, la fille de l’ogre, sorte d’«alter ego d’Angelo dans la forêt (qui) incarne la jeune résistance», selon Alexis Ducord.
Transposant et enrichissant son roman graphique dans l’animation 3D (en partie réalisée chez Zeilt, le producteur luxembourgeois du film), Vincent Paronnaud a décrété, avec son coréalisateur, un «principe» de base : «Tous les boutons sur 11 !»
Ainsi, dans une scène rigolote de la BD, Angelo bute sur une fourmilière et se fait attaquer par ses occupantes, organisées en formation militaire; dans le film, la scène prend de l’ampleur, au point d’en devenir l’un des moments les plus spectaculaires.
Le message écologique, prégnant, est loin d’être candide, à ce moment comme à d’autres. Idem pour les représentations que le film fait d’autres notions qui paraîtront plus évidentes aux adultes : la mort, l’amour, le totalitarisme et même la question du genre, incarnée poétiquement par ce personnage d’écureuil qui se rêve oiseau, et habitée par la voix fantasque d’un Philippe Katerine parfait.
Là encore, fort de cette liberté de ton qui lui est propre, Winshluss se défend de livrer un film «pontifiant, dogmatique, pédagogique à tout prix», mais plutôt d’avoir cédé à son côté «naïf» : «Le (…) film pour enfants a une fonction merveilleuse : il permet d’être « primitif », idéaliste. Pourquoi se priver?»
Angelo dans la forêt mystérieuse, de Vincent Paronnaud et Alexis Ducord.
N. B. : le film est projeté dans sa version originale française et son doublage luxembourgeois.