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André Glucksmann, le philosophe indigné


André Glucksmann, le 13 janvier 1995. (photo AFP)

Incarnation de l’intellectuel engagé, volontiers pamphlétaire et grande figure du mouvement des « nouveaux philosophes », André Glucksmann est mort dans la nuit de lundi à mardi à 78 ans, après avoir pourfendu pendant 40 ans toutes les formes de totalitarisme.

« Mon premier et meilleur ami n’est plus. J’ai eu la chance incroyable de connaître, rire, débattre, voyager, jouer, tout faire et ne rien faire du tout avec un homme aussi bon et aussi génial. Voilà, mon père est mort hier soir », a écrit son fils, le réalisateur Raphaël Glucksmann, en annonçant son décès.

« Quand il était petit, il aurait dû mourir, puisqu’il était juif, d’une famille ne parlant pas français dans la France occupée », a-t-il raconté. « Donc, il m’a dit que tout le reste, c’était du rab et que 70 ans de rab, c’était une chance incroyable et qu’il fallait la saisir pour en faire profiter d’autres qui avaient moins de chance que lui. »

Malade, André Glucksmann ne faisait plus d’apparition publique ces dernières années. « Il avait plusieurs cancers, il s’est vraiment battu », a confié l’un de ses éditeurs.

Son dernier ouvrage, « Voltaire contre-attaque », publié il y a un an, montrait qu’il ne renonçait pas pour autant à défendre ses idéaux. Dans ce livre testament, il dénonçait « la fièvre identitaire » européenne et plaidait pour l’universalisme des Lumières.

Cet homme « a toute sa vie durant mis sa formation intellectuelle au service d’un engagement public pour la liberté », a souligné François Hollande, tandis que Manuel Valls saluait celui qui « guidait les consciences ». L’ancien président, Nicolas Sarkozy, que le philosophe avait soutenu en 2007 avant de s’en éloigner, a rendu hommage à son « courage » et à sa « lucidité intellectuelle ».

Proche des « maos » français à la fin des années 1960, le philosophe avait rompu spectaculairement avec le marxisme au milieu des années 1970, dénonçant le Goulag, puis la tragédie des « boat people » fuyant le Vietnam communiste.

Un livre, publié en 1975, résume cette rupture. « La cuisinière et le mangeur d’hommes » où André Glucksmann affirme que l’origine des camps soviétiques est à rechercher du côté de Marx. Ce pamphlet avait fait l’effet d’une bombe au sein d’une intelligentsia française encore très influencée par le marxisme.

Parmi d’autres intellectuels de gauche en rupture de marxisme,comme Bernard-Henri Lévy ou Pascal Bruckner, il sera catalogué comme « nouveau philosophe ». Des intellectuels qui quittent leur salon pour aller sur le terrain et dans les médias.

« Il vivait tout entier pour les idées qu’il défendait et il les défendait avec la même intransigeance », s’est souvenu Pascal Bruckner. « Il était l’homme de l’indignation et de l’engagement intégral ».

Sur les plateaux télés

Visiblement ému, son ex-compagnon de route, l’ancien ministre Bernard Kouchner a estimé que « la révolte perd avec lui un commandant de haut bord ». « Avec André, on s’est rencontrés en 1968 et on ne s’est plus quittés », a affirmé de son côté Dany Cohn-Bendit, l’écolo-libertaire qui s’il reconnaît ne pas avoir été « toujours d’accord » avec le philosophe ajoute « on s’est toujours retrouvé sur l’antitotalitarisme ». Il était « le seul de mes contemporains avec lequel j’avais le sentiment de partager le même souci du monde et de l’autre », a expliqué à l’AFP BHL, « bouleversé ».

De l’anticommunisme, son combat se déplacera naturellement vers l’antitotalitarisme et la défense des droits de l’Homme. En 1977, il réussit à réunir la grande figure des intellectuels de gauche Jean-Paul Sartre et le philosophe libéral Raymond Aron pour monter l’opération « Un bateau pour le Vietnam ».

N’hésitant pas à s’exprimer sur les plateaux de télévision pour défendre les causes auxquelles il croyait, il sera de tous les combats contre le totalitarisme. Il soutient l’intervention occidentale contre la Serbie en 1999 pour défendre la minorité kosovare. Persuadé qu’il faut chasser Saddam Hussein, massacreur de son propre peuple et en particulier des Kurdes, il défend également l’intervention américaine en Irak en 2003.

Ses détracteurs ne voient plus en lui qu’un représentant des « néo-conservateurs » alliés des Républicains américains. Lui, se revendiquait toujours de gauche. Ces dernières années, il soutenait la cause indépendantiste tchétchène et ne manquait pas une occasion de dénoncer l’autoritaire Vladimir Poutine.

 

AFP