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[Musique] Astéréotypie : grand art brut


Christophe Lhuillier, Aurélien Lobjoit, Claire Ottaway, Eric Tafani, Arthur B. Gillette, Benoît Guivarch, Stanislas Carmont et Yohann Goetzmann forment Astéréotypie. (photo Mathieu Zazzo)

Avec Patami, leur nouvel album, on peut assurer si besoin était qu’aucun collectif dans la musique ne ressemble à Astéréotypie, formé autour de musiciens autistes.

Stéréotypie et atypie

Dans le champ autistique, la «stéréotypie» renvoie à la répétition de mots, de phrases et de gestes, rythmés sans but apparent, de façon automatique. C’est en ajoutant un «a» en préfixe qu’apparaît Astéréotypie, un collectif français qui, en ce qu’il ne ressemble à aucun autre, se positionne par définition aux antipodes de la répétition. Astéréotypie : ce n’est sans doute pas pour rien qu’en retirant un terme issu du champ sonore, à savoir «stéréo», il en ressort un écho déformé et un synonyme impeccable du groupe – «atypie».

S’il y a des rencontres dans des lieux inattendus, spot interlope ou quai de gare déserté, qui peuvent chambouler une vie, c’est dans un institut médico-éducatif de Bourg-la-Reine (Île-de-France), lors d’ateliers d’écriture, que fusionnent, pour la première fois, les Astéréotypie. Au commencement – en l’occurrence en 2010 – était bien le verbe.

Éducateur pour personnes autistes et cofondateur dudit atelier, Christophe Lhuillier, subjugué par leur créativité, veut donner du relief à ce verbe : pulsation, tempo, écho. Christophe est aussi guitariste, il va alors aller plus loin que «gratter», aussi bien lui son instrument qu’eux le papier.

Entre les lignes, à la marge

À quoi ressemblent les textes d’Astéréotypie ? À du cadavre exquis en vers, libres ou aléatoires, ou à une espèce de patchwork capricieux, sinon au reflet direct et sans filtre de l’analogie. Il s’agit de ne pas perdre de vue ce qui «passe par la tête», alors Astéréotypie incarne la jonction entre le «terre à terre» et le «lunaire», un mot souvent utilisé à tort et de travers.

 

Du chant habillé en «spoken word» habité. Le post-punk rythme le post-slam. Quelque part, entre les lignes, Diabologum période talk-over rencontre les dérives fantasques d’un Sydney Valette. Et il s’agit bien d’«art brut», selon la définition de Jean Dubuffet, pour parler d’œuvres conçues par des autodidactes hors des clous. Au-delà de la bien-pensance et du cynisme, Astéréotypie redonne au rock l’essence originelle qu’il a perdu, et pas que de vue – sa marginalité.

De l’art brut à Patami

En 1949, dans le catalogue de son exposition «L’art brut préféré aux arts culturels», Jean Dubuffet écrit : «Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom.» Et, avec Astéréotypie, il est question de «vrai» au sens «sincère», c’est aussi juste que le lieu de création du groupe est inattendu, à l’image de ses chansons. Son nouvel album, Patami, le prouve encore.

Alors que le chanteur Stanislas Carmont avait déclaré à Konbini que «(s)on handicap devrait intéresser les gens, ils ne devraient pas se moquer», il répète, dans Je ris pour autre chose : «Je me moque pas de vous / Je ris pour autre chose», tel un mantra qui serait, en réalité, une justification qu’on lui aurait assenée en gloussant.

Et, façon vocaux additionnels, l’assemblée qui, derrière, se bidonne renvoie aux rires enregistrés d’une série humoristique. Sur Calme-toi bouge tes genoux, il s’agit de voix d’enfants, mais aussi d’une guitare crachée par une radio mal réglée. Surprise, Cheese Bad Girl déploie un son techno crissant. À partir de là, ce constat : Astéréotypie n’a pas lâché les expérimentations; c’est en éclatant tout format que le collectif s’éclate.

Coups de blues et coups de gueule

Dans C5, la nostalgie, quand elle est grave, provient du timbre de baryton de Stanislas – toujours est-il que la madeleine de Proust est ici une Citroën, qui fait office de machine à remonter le temps. Stan est bercé par la voiture de son père, donc par son père, tout comme l’auditeur l’est, par un air de déjà entendu, via Que la biche soit en nous que Claire Ottaway avait chanté avec Rebeka Warrior.

Soutenu par les synthétiseurs déglingués en «loop», Soirée parfaite joue avec les effets vocaux façon robot, après avoir calé un «feat» avec Siri dans Joseph Da-xrus, ou sur Iphone X, comme Circé Deslandes l’avait fait dans iFantasme. Soirée parfaite, c’est un extrait de journal intime oral, ou quand la banalité devient exceptionnelle puisqu’elle est traversée par des imprévus.

Il y a du règlement de compte, aussi bien avec L’Archère, grinçant, où Claire invective ferme «Je punis les crétins», qu’avec les profils fictifs de Faux compte, où Stanislas manifeste à nouveau sa colère d’être pris, justement, pour un crétin.

«Autistique» et «artistique»

Tout handicap ne doit pas en être un pour faire de la musique. Alors qu’un mythique groupe français a choisi le nom de Trisomie 21, les deux leaders belges de Choolers Division sont atteints du syndrome de Down. Il y a aussi PNK, un groupe qui n’est pas un «side-project» rap entre PNL et PLK, mais un combo finlandais composé d’autistes et de trisomiques.

En plus de Daniel Johnston ou Kanye West, diagnostiqués bipolaires, il y a encore Florence Welch, qui souffre de dyslexie et de dyspraxie, ou Mandy Harvey, qui, en tant que sourde, utilise son corps telle une caisse de résonance pour recevoir les vibrations.

Quant à Astéréotypie, Stanislas s’inquiète : il voudrait que le collectif soit reconnu pour son art, et non pour son handicap. Aucun problème : après «grand groupe», il y a juste à changer le «u» d’«autistique» par un «r».

De notre correspondant Rosario Ligammari