Maxime Chattam
Prime Time
Albin Michel
C’est tout simple. La voix déformée dit : «Comme vous pouvez le constater, ce n’est plus votre journal du soir. La situation est sous mon contrôle à partir de maintenant. Si le signal est coupé, Paul sera tué. Si la moindre personne entre dans ce studio, Paul sera tué.
Si vous cherchez à brouiller la réception, ou à me tendre un piège, Paul sera tué». On est dans les studios de MD1, la première chaîne télévisée d’Europe, sur le plateau du 20 h, le journal le plus regardé d’Europe présenté par Paul Daki-Ferrand, surnommé «PDF». Le JT est commencé depuis quelques minutes quand un homme masqué, qui se fait appeler Kratos surgit sur le plateau, et prend en otage le présentateur : a-t-il une motivation terroriste? Ou encore politique? Longtemps, lecteurs, lectrices, on demeurera dans le flou sur le geste et les motivations du preneur d’otage.
Voilà le début de Prime Time, roman de Maxime Chattam, l’un des maîtres du thriller «à la française». Interrogé sur la genèse de son nouveau livre, lui parmi les plus importants vendeurs de l’édition hexagonale, il explique : «Je souhaitais m’éloigner de la noirceur. Je n’ai plus envie ni besoin d’écrire ce type de roman. Je n’ai plus envie de m’abîmer là-dedans. J’avais envie d’autre chose».
Et de préciser : «Le but d’un thriller est de divertir mais je veux aussi que le lecteur en tire quelque chose, que ce ne soit pas qu’un plaisir presque fugace». Fin technicien de l’art de jouer avec le suspense, l’auteur avoue également qu’il voulait, depuis quelques années, monter une histoire avec les hommes du GIGN – Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale.
Marié à une femme en vue du petit écran, il tenait une histoire sur le monde de la télévision, plus particulièrement sur le JT présenté par un journaliste aussi vénéré qu’une star du show-business. Alors, un jour, il a eu l’idée de mêler ces deux thématiques, ce qui donne une prise d’otage en prime time.
Un otage, Paul Daki-Ferrand, qui pourrait, même si Maxime Chattam ne le dit pas, rappeler une superstar du 20 h dans les dernières années du siècle passé… Un otage qui, par exemple, le temps d’une pause dans sa maison en Normandie, s’avouait que «plus le temps passait, et plus il se sentait dépossédé d’une part de lui-même, de son vrai libre arbitre, d’être qui il voulait quand il le voulait.
Était-ce ça, le prix de la notoriété? Vivre sous contrôle permanent. De son image, de ce qu’on dit, ce qu’on porte, ce qu’on représente. Même symboliquement. Tout envisager, tout le temps, tout anticiper, ne jamais pouvoir flotter, être léger, futile, insignifiant».
De-ci de-là dans Prime Time, Maxime Chattam qui a publié son premier roman en 2002 (L’Âme du mal) ne manque pas de lancer quelques piques sur ce monde de l’audiovisuel où flottent suffisance et mégalomanie. Il y a ajouté, donc, un preneur d’otage qui, apprend-on, est diablement organisé.
Et, alors qu’apparaissent deux policiers déjà vus dans les deux précédents romans de Maxime Chattam et que s’agitent en régie les membres du GIGN, le procureur, les politiciens et la direction de la chaîne, entament un jeu de manipulation et une partie de poker menteur entre, d’un côté, le négociateur et Charlène, la cheffe d’édition du JT, et, de l’autre, le preneur d’otage.
On découvre également qu’une autre prise d’otage concerne aussi Paul Daki-Ferrand et que, surtout, les deux prises d’otage sont liées, comme en sont convaincus les hommes du GIGN. Dans l’état-major de la chaîne MD1, on ne s’interroge pas longtemps : cette prise d’otage de «PDF», quelle aubaine pour l’audimat!
On ne coupe pas l’antenne, au nom de l’information, mais en fait, on sait que ça va cartonner côté audience. Rien de moins que du cynisme que l’auteur sait pointer avec élégance. Et, en bon maître du thriller qui connaît à la perfection son sujet, Maxime Chattam en profite pour glisser dans Prime Time des sujets qui font aussi l’actualité dans les médias, comme des affaires de viols ou de harcèlement. Là encore, toute ressemblance avec des faits et des personnages existants est purement fortuite. Ou pas!