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[Exposition] Cerith Wyn Evans comme on ne l’a jamais vu


L'exposition est visible jusqu'au 14 avril 2025 au Centre Pompidou-Metz. (photo Valentin Maniglia)

À Pompidou-Metz, l’artiste gallois Cerith Wyn Evans «emprunte» la lumière naturelle de la ville de Metz pour mettre en dialogue ses œuvres explorant la frontière entre visible et invisible.

En 2016, le Centre Pompidou-Metz avait inclus l’installation de Cerith Wyn Evans A=P=P=A=R=I=T=I=O=N (2008) parmi la quarantaine d’«œuvres phares» piochées dans la collection du prestigieux homologue parisien du musée, au sein de l’exposition «Musicircus». L’œuvre, «totale» et par là même emblématique du travail de l’artiste gallois, convoque tout à la fois la poésie expressionniste, la musique industrielle, les mobiles rappelant Alexander Calder, et s’ouvre à la performance.

Aussi caractéristique qu’elle soit, cette installation n’a pas retrouvé cette année le chemin de Pompidou-Metz, mais la vingtaine d’œuvres anciennes et récentes qui constituent «Lueurs empruntées à Metz», «autoportrait» exhaustif de l’artiste, expriment toute l’ampleur singulière de son travail, marqué par la capacité de ses sculptures lumineuses à jouer avec la perspective et une approche de l’art entre visible et invisible, entre recherche pointue et liberté d’improvisation.

Se promener au milieu de ces «Lueurs empruntées», c’est flâner dans les «jardins» ouverts conçus par l’artiste : Cerith Wyn Evans «sème» ses œuvres, repensées et retravaillées pour les espaces d’exposition du musée, afin de déclencher chez le visiteur «l’expérience (d’une) promenade enrichissante, nourrissante spirituellement» – et donc, par essence, privée d’un sens de visite défini à l’avance.

Fort de son approche conceptuelle du principe même d’exposition (institutionnelle qui plus est), l’artiste a été invité à «(s’)emparer du bâtiment et, ainsi, créer une sorte de filtre pour que les gens puissent voir à travers (s)es yeux». Cerith Wyn Evans se saisit de l’«occasion» que représente pour lui le bâtiment afin de proposer une vision unique de son travail, «plutôt qu’une collection» de ses œuvres.

L’œuvre du Britannique de 66 ans gravite autour des notions de «répétition», de «reproduction», d’«illusion» et, surtout, de «synesthésie», ce phénomène neurologique dans lequel une sensation perçue objectivement déclenche d’autres sensations de manière systématique, explique Zoe Stillpass, la commissaire de l’exposition.

Repensées «in situ», les œuvres, prises individuellement, frappent avant tout pour ce qu’elles invoquent. La série phase shifts (after David Tudor) (2023) renvoie à la fois aux mobiles de Calder et au Grand Verre de Marcel Duchamp; les célèbres Black Paintings de Frank Stella sont reproduits en néons (2022); et les superbes Neon Forms (after Noh) (2015-2019) traduisent en lumière les mouvements du corps, très précis, que l’on prête à la tradition japonaise du théâtre nô. Il y a encore Daniel Buren, qui avait fait recouvrir de miroirs les murs de la Galerie 3 de Pompidou-Metz, en 2011, auquel Cerith Wyn Evans entend rendre «hommage» en appliquant le même concept scénographique.

Lire entre les tubes

Le néon, instrument de choix de l’artiste britannique, est surnommé dans sa bouche «le gaz magique», capable de «donner vie» aux œuvres qu’il réalise. De fait, l’exposition fait l’effet d’une grande chorégraphie, l’immédiateté concrète du mouvement ou de la forme se substituant, dans l’œil du visiteur, à la nature abstraite des sculptures.

Les Neons after Stella peuvent ainsi être vus comme des variations fidèles aux originaux… et leur contraire, tel que l’explique Zoe Stillpass : «Chez Frank Stella, ce que l’on voit, c’est toujours ce que l’on voit, tandis que chez Cerith Wyn Evans, ce que l’on voit, ce n’est jamais ce que l’on voit.» Le noir qui inonde les peintures de l’Américain décédé en mai dernier disparaît dans les reproductions lumineuses du Gallois, métamorphosé en transparence, sinon en vide. Il s’agit alors de lire, plus qu’entre les lignes, entre les tubes…

Le travail de Cerith Wyn Evans repose tout entier «sur les sons et les vibrations», glisse la commissaire, que les objets exposés expriment dans toute leur «intensité». Toujours dans la dualité entre visible et invisible, ces œuvres, qui vont du grand format au monumental, sont le fruit de «beaucoup d’études, d’expertise, de recherches».

Son Mantra (2016), composé de deux lustres presque identiques, traduit une partition musicale en lumière, tandis qu’en face, Composition for 37 flutes (2018) inspire et expire l’air ambiant dans les instruments en cristal, jouant une partition expérimentale qui se passe, donc, du souffle humain. On retrouve des traces de cette même réflexion dans S=U=P=E=R=S=T=R=U=C=T=U=R=E (2010), œuvre formée de colonnes lumineuses qui s’allument et s’éteignent selon le rythme de la respiration.

Mur et plafond

Le premier instrument qui rend possible cette installation, c’est la ville de Metz elle-même, dont l’horizon se reflète sur les «douze tonnes» de miroirs habillant les murs, longs de 80 mètres, de la Galerie 3. La «température de couleur» de ses néons, explique l’artiste, est de «6 500 kelvins», ce qui est «généralement considéré comme la lumière artificielle la plus fidèle à la lumière du jour». Mais, ainsi que le concept de l’exposition est explicité dans son titre, les œuvres de Cerith Wyn Evans se dévoilent de manière différente au visiteur selon qu’il y déambulera un jour de soleil ou un jour de grisaille, un matin ou une fin d’après-midi.

Loin des conventions, celui qui fera ensuite voyager ses «Lueurs empruntées» au musée d’Art contemporain d’Australie (Sydney), dirigé par l’ex-directrice du Mudam Suzanne Cotter, lâche en guise de mot de la fin une formule qui résume bien son approche artistique : «Dans la plupart des cas, une œuvre d’art a besoin d’un mur. Quand je le peux, je supprime les murs, car mes travaux, eux, n’en ont pas besoin. Ils ont besoin d’un plafond.»