Du célèbre boxeur, icône française, on connaît surtout sa liaison avec Édith Piaf et sa tragique disparition. Bertrand Galic remonte sur le ring et raconte l’homme derrière la légende.
Comme le précise l’éditeur Delcourt sur son site, c’est «l’histoire méconnue du boxeur le plus connu» de France. Ce que confirme en postface l’auteur Bertrand Galic, toujours étonné qu’une telle vie, «empreinte d’une grande dramaturgie», n’est inspirée que peu de monde. Il dénombre ainsi, et seulement, un film de Claude Lelouch (Édith et Marcel, 1983) et un roman d’Adrien Bosc (Constellation, 2014). Il oublie au passage les mémoires du champion (Ma vie, mes combats), mais c’est vrai qu’au final, ça fait peu… Avec Kris, à la tête de la collection «Coup de tête» consacrée à l’histoire du sport, ici en tant que «sparring-partner», il corrige alors le tir. Et voici donc la première biographie illustrée de Marcel Cerdan.
Le destin est plus fort et l’emporte toujours à la fin
Sur lui, évidemment, le grand public retient surtout deux choses : son idylle avec Édith Piaf, rencontrée en juillet 1946 au Club des Cinq à Paris, celle qui lui envoie des télégrammes enflammés et n’hésite pas à se cacher dans le coffre d’une voiture pour rejoindre son amant durant les entraînements, loin des objectifs de la presse people. Car ensemble, il forme le couple vedette de l’après-guerre. Ensuite, sa disparition trois ans plus tard dans un accident d’avion, sur les hauteurs de São Miguel, archipel portugais, alors qu’il avait pour habitude de ne voyager qu’en bateau. Mais comme le rappelle Bertrand Galic, il y a certains combats «perdus d’avance», et qu’à la fin, c’est toujours «le destin qui gagne».
En 33 années, celui-ci n’aura pas été de tout repos pour l’homme et le boxeur, un «vrai héros» pour Jean Cocteau cité en introduction. Une vie ballotée entre trois continents : d’abord l’Afrique, particulièrement l’Algérie et le Maroc où il est né, grandira, sera enterré (avant d’être rapatrié 46 ans plus tard en France) et se ressourcera durant les périodes difficiles. Ensuite l’Europe, où il devient un sportif émérite et connaît le conflit mondial. Enfin l’Amérique, où il atteint la consécration en devenant champion du monde des poids moyens en septembre 1948, dominant sans la moindre contestation Tony Zale à New York. Si son palmarès est éloquent (110 combats pour 106 victoires), l’objectif de Bertrand Galic était surtout de raconter «Marcel» plus que «Cerdan». En somme, le «cœur» au moins autant que les «gants».
Côté ring, il y a quand même de beaux souvenirs : ses différents succès aux championnats de France et d’Europe, mais également ce combat donné au profit des prisonniers de guerre en 1941, durant lequel il envoie valdinguer son adversaire suisse par-dessus des cordes avant de lui porter secours. Le plus symbolique reste, l’année suivante, celui du Vélodrome d’Hiver à Paris où, deux mois avant, étaient arrêtés plus de 13 000 personnes, dont trois quarts de femmes et d’enfants – soit la plus grande rafle de Juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Il ne fera qu’une bouchée de son rival franquiste, arrivé dans un peignoir avec une croix gammée sur le cœur. Dans la salle, devant les dignitaires nazis, le public entame une Marseillaise. On apprendra plus tard que Marcel Cerdan versait une partie de ses gains à la Résistance.
Côté coulisses, on apprend que, garçon, il préférait le football et les copains à la boxe, sport auquel il souscrit, à contrecœur, pour que son père tyrannique arrête de le traquer, de le frapper et de se disputer avec une mère qu’il aimait tant. On suit sa rencontre avec Lucien Roupp, qui fut durant dix ans son entraîneur, et ses camarades du club de boxe, tous unis «à la vie à la mort» – Marcel Cerdan sauvera l’un deux d’une noyade assurée dans la Seine après une bagarre. Dans ses pas et entre deux rounds, il y a aussi le racisme dans une France aux relents coloniaux, la vie de famille de façade et les nombreuses tromperies dans l’ombre, le rythme frénétique des matches et les blessures qui s’enchaînent (on le surnommait «l’homme aux mains d’argile»), les entraînements parfois pris à la légère, son statut de facteur à la marine et celui de star après sa ceinture mondiale. Enfin, l’Amérique puis la mort qui lui tendent les bras, sans qu’il puisse prendre sa revanche sur Jake LaMotta.
Grâce au dessin délié, vivant et de facture classique signé Jandro, et avec quelques coupures de presse d’époque en appui, Bertrand Galic réussit son pari, comme il le définit en toute fin d’ouvrage : celle de raconter «l’histoire d’un amour réciproque, inconditionnel et infini, entre un homme et les autres gens», son public. Celle d’un «illustre inconnu» du sport français qui, rappelons-le, n’a été compté qu’une seule fois par l’arbitre de toute sa carrière : sur le ring vide du Madison Square Garden, lors d’une émouvante cérémonie d’hommage. Trois jours avant, Marcel Cerdan disparaissait soudainement dans les montagnes des Açores, emportant avec lui toute la fierté d’un peuple.
Marcel Cerdan, le cœur et les gants, de Bertrand Galic et Jandro. Delcourt.
L’histoire
Boxeur contre son gré, par la volonté d’un père à la fois coach et tyran, et pour l’amour d’une mère, Marcel Cerdan deviendra malgré tout le «bombardier marocain», icône de la résistance antifasciste, avant de rendre sa fierté à tout un pays en remportant le titre mondial en 1948. Au-delà de sa liaison avec Édith Piaf et sa mort tragique, voici l’histoire de cet «illustre inconnu» du sport français.