Le gouvernement travaille sur un projet de loi concernant les rassemblements dans les lieux publics. Amnesty International appelle à la vigilance.
Amnesty International est monté au créneau concernant le droit de manifester. Le sujet est clivant et… glissant pour le gouvernement. Le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, a confirmé le 21 octobre vouloir revoir le cadre légal sur les manifestations. «Lors des nombreuses manifestations qui ont eu lieu dans le contexte de la pandémie liée au Covid-19, il est devenu apparent que le Luxembourg ne dispose pas d’une législation adéquate pour encadrer les manifestations», constate le programme de gouvernement. L’ONG de défense des droits humains affirme «craindre de nouvelles restrictions à l’exercice du droit de manifester», un «pilier essentiel de toute société démocratique».
Les manifestations sans précédent contre les restrictions liées au covid-19 ont marqué les esprits, pour ne pas dire choqué. Les débordements qui ont eu lieu durant des semaines ont laissé des traces dans l’exécutif, comprenez l’ancien et donc le nouveau gouvernement. Durant l’hiver 2021-2022, les samedis ont été particulièrement tendus.
Le 11 novembre 2021, une première grande manifestation, organisée sur le Glacis, avait dégénéré. Des milliers de personnes s’étaient réunies contre les dispositifs mis en place pour lutter contre la pandémie. Une partie de ces manifestants avait tenté de rejoindre le centre-ville par l’avenue de la Porte-Neuve et s’était retrouvée face aux canons à eau de la police belge appelée en renfort. Coups de matraque et arrestations avaient suivi l’utilisation des jets d’eau.
Le chaos s’est ensuite poursuivi les semaines suivantes dans la capitale. Certains manifestants décidaient de ne pas respecter les consignes des autorités et organisaient des cortèges sauvages au départ de la gare pour déambuler jusqu’au Glacis, lieu des manifestations autorisées. Chaos et blocages de rues par des centaines de protestataires avaient eu lieu avant l’intervention policière du 15 janvier 2022.
Ce samedi-là, le cortège a été bloqué, coincé par la police, dans l’avenue de la Liberté. Des échauffourées ont éclaté des heures durant et des dizaines d’arrestations, parfois musclées, ont eu lieu. Des images insolites pour le Grand-Duché, qui ont provoqué une prise de conscience de l’ancien gouvernement pour lancer la machine législative et réfléchir à de nouveaux textes. Le nouveau gouvernement a pris le relais.
Inquiétude d’Amnesty International
Une première mouture datant d’il y a deux ans (l’écologiste Henri Kox était en charge du ministère de l’Intérieur) proposait notamment une augmentation des peines en cas de rébellion et de rébellion avec arme (jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 5 000 euros d’amende), l’élargissement de la définition des outrages et des violences à des actions comme le fait de cracher sur un policier ou de lancer des objets…
À l’époque, le projet de loi voulait aussi punir le fait de diffuser des informations personnelles sur des gens, comme leur adresse, et de les mettre ainsi en danger. Lors des manifestations, élus mais aussi membres de la presse avaient été visés sur les réseaux sociaux et leur lieu de vie dévoilé. Les manifestants s’en étaient par exemple pris au domicile du Premier ministre Xavier Bettel durant cette folle période. Aujourd’hui, le gouvernement travaille donc sur un nouveau projet de loi. Il sera scruté de près.
La coalition formée par le CSV et le DP compte garantir «le droit constitutionnel de réunion pacifique et des rassemblements en plein air», mais la loi à venir inquiète fortement Amnesty international. Dans un communiqué, l’ONG de défense des droits humains dit «craindre que ce projet puisse imposer de nouvelles restrictions à l’exercice du droit de manifester et soulever ainsi de sérieuses questions quant au respect des libertés fondamentales dans le pays».
«Le droit de manifester pacifiquement est un pilier essentiel de toute société démocratique. Le restreindre sous prétexte de mesures de sécurité est non seulement injustifié, mais également dangereux pour la vitalité de notre démocratie», déclare dans ce même écrit David Pereira, le directeur général d’Amnesty International Luxembourg.
L’ONG remet aussi en doute le lien établi avec les débordements lors des manifestations liées au covid pour justifier un cadre plus strict. «Il est important de rappeler que la grande majorité des manifestations au Luxembourg se déroulent pacifiquement. Lier le droit de manifester à des actes de violence ou de désordre public serait une généralisation abusive qui ne reflète pas la réalité», insiste le communiqué.
Amnesty International appelle donc le gouvernement à «garantir un cadre législatif qui permette aux citoyens de manifester sans crainte de répression ni d’obstacles administratifs inutiles». La société civile devrait en outre «participer activement à l’élaboration d’une telle loi».