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[Exposition] Dans l’intimité dévastée des Afghanes


À Paris, l’expo-reportage «No Woman’s Land», de la photographe Kiana Hayeri et la chercheuse Mélissa Cornet, permet d’entrer dans l’intimité des Afghanes, de percevoir leur désespoir et leurs rares joies.

Une adolescente en hijab rose pose devant une fenêtre : la jeune fille, 14 ans, sera bientôt mariée «en échange d’un puits et de panneaux solaires». Derrière l’objectif, la photographe irano-canadienne Kiana Hayeri, 36 ans, experte de l’Afghanistan – pays sur lequel elle travaille depuis une décennie, dont sept ans vécus à Kaboul –, qui collabore régulièrement avec le New York Times et National Geographic. Pour ce projet, l’artiste a travaillé des mois durant avec Mélissa Cornet, une chercheuse française de 32 ans spécialiste du droit des femmes, qui a aussi habité trois ans et demi dans la capitale afghane, jusqu’à ce que les talibans prennent le contrôle du pays, en août 2021.

Ensemble, les deux femmes ont rencontré une centaine de femmes et de filles, de janvier à juin, dans sept provinces d’Afghanistan. «L’une des questions que nous leur avons posées était : « Avez-vous l’espoir que la situation puisse s’améliorer sous les talibans? »», raconte Mélissa Cornet. «Presque systématiquement, la réponse était non.»

Depuis leur arrivée au pouvoir, les talibans ont, selon la terminologie de l’ONU, instauré un «apartheid de genre» en Afghanistan, en chassant progressivement les femmes de l’espace public. Les Afghanes ne peuvent plus étudier au-delà du primaire, aller dans les parcs, les salles de sport ou les salons de beauté, ni quasiment sortir de chez elles sans chaperon. Une récente loi leur interdit même de faire entendre leur voix en public, en vertu, comme les autres directives, d’une application ultrarigoriste de la loi islamique. «Dans la situation actuelle, il n’y a guère de lumière au bout du tunnel», se désole Kiana Hayeri.

«Ce qui est encore plus déchirant, c’est qu’au cours des six mois où nous avons travaillé sur ce projet, la situation a beaucoup changé. Certaines des femmes qui, deux ans et demi après le retour au pouvoir des talibans, essayaient encore de faire bouger les choses, ont perdu espoir», dit-elle.

Résistance silencieuse

L’exposition «No Woman’s Land», actuellement visible en accès libre au Réfectoire des Cordeliers, dans le centre de Paris, permet d’entrer dans leur quotidien. Le spectateur arpente un enchevêtrement de pièces, dans lesquelles sont affichées les photos, pour rappeler combien les Afghanes «sont confinées aujourd’hui entre les murs de leur maison», explique Mélissa Cornet. «Toutes les femmes que nous avons rencontrées, c’était soit chez elles, soit chez nous, car il n’y a plus d’autre endroit sécurisé au dehors», poursuit-elle.

Certaines scènes montrent des femmes ou adolescentes, qui dansent, sourient, célèbrent un anniversaire en intérieur au nom de «leur droit à la joie, à la liberté et à la célébration de leur féminité», peut-on lire sur une légende. D’autres photos témoignent de leur résistance silencieuse, comme lorsqu’elles étudient dans des écoles secrètes pour ne pas perdre tout leur savoir. Mais la plupart des clichés illustrent simplement la tragédie de leur quotidien. Deux mains en coupole portent une bague. Celles d’Halima, qui «tient l’alliance de son mari, mort de crise cardiaque le jour où elle a été libérée de détention pour activisme», explique la légende du cliché.

Et puis il y a le magnifique portrait de Muska, 14 ans, récemment expulsée avec sa famille du Pakistan, où elle est née. «Parce que sa famille lutte tellement financièrement, ils ont accepté une proposition de mariage d’un fils de leur propriétaire. Elle a été vendue contre un puits et des panneaux solaires, soit l’équivalent de 300 ou 400 dollars», se lamente Mélissa Cornet.

«Aucune volonté politique»

Des photos rares que seule une connaissance profonde de l’Afghanistan et de ses réseaux leur a permis d’obtenir. Des photos poignantes, profondes, qui laissent toutefois Kiana Hayeri «le cœur brisé et impuissante», «car elles ne changeront rien». «Tout le monde connaît la condition des Afghanes. Mais il n’y a aucune volonté politique pour les aider davantage en Afghanistan, ou les aider à en sortir et les accepter en Europe ou aux États-Unis», dénonce Mélissa Cornet.

Vingt années durant, une coalition de l’OTAN a pourtant justifié sa présence en Afghanistan, notamment par la défense des droits des femmes face à l’insurrection des talibans… avant d’abandonner l’armée afghane qui les combattait, leur permettant de reprendre le pouvoir. Qu’importent les conséquences pour les Afghanes. Et la chercheuse de pester : «On ne parle pas des responsabilités que nous avons envers elles.»

Jusqu’au 18 novembre.
Réfectoire des Cordeliers – Paris.