Deux jours après le vote du Parlement israélien interdisant les activités de l’UNRWA sur son territoire, les membres de l’organisation humanitaire rencontrés par Xavier Bettel, en déplacement dans la région, semblent K.-O. debout.
Entouré d’une poignée de journalistes, devant les micros qui lui sont tendus, Ben Majekodunmi, le visage las, s’exprime d’une voix douce dans une école vide près de Ramallah. «Depuis un peu plus de 36 heures, nous sommes sous le choc de la tentative de démantèlement de l’UNRWA par Israël», explique-t-il, lui qui est le chef de cabinet d’une équipe de l’organisation onusienne à Amman. «Ce n’est pas seulement une attaque envers notre action humanitaire (…), mais aussi une attaque contre l’espoir des Palestiniens», précise-t-il.
Le lundi 28 octobre, la Knesset a mis sa menace à exécution et voté à la quasi-unanimité un projet de loi interdisant les activités de l’agence onusienne sur son territoire. L’UNRWA et ses 33 000 employés qui œuvrent en faveur des réfugiés palestiniens en gérant notamment des centres de soins et des écoles, sont accusés par Israël d’avoir compté parmi leurs équipes, des individus ayant participé aux massacres et enlèvements du 7 octobre 2023.
«Le but de démanteler l’UNRWA fait partie d’une stratégie politique», estime Ben Majekodunmi. «Le gouvernement israélien a exprimé son inquiétude sur ce qu’il appelle notre « neutralité » et allégué qu’un certain nombre d’équipes seraient impliquées dans les événements du 7 octobre. (…) Malheureusement, nos efforts de travailler avec lui n’ont pas été possibles, il n’y a pas de coopération. De plus, on est une organisation humanitaire, on n’a pas une police pour enquêter sur ces allégations», se défend-il.
7,2 millions d’euros versés par le Luxembourg
Pour l’instant, les modalités de cette interdiction ne sont pas connues. «Nous sommes dans un flou inacceptable, ingérable», reprend Ben Majekodunmi. «Une des interprétations de ce vote est qu’on ne pourra plus faire quoi que ce soit dans 90 jours… on espère qu’avec le soutien de l’Assemblée générale, celui éventuel du Conseil de sécurité, une voie politique sera trouvée.» Si ce n’est pas le cas, les conséquences décrites par Ben Majekodunmi font froid dans le dos : «Il y a 2,2 millions de personnes dépendant pour leur survie de cette institution qui est extrêmement importante au sens humanitaire, mais aussi au sens moral. La population est désespérée (…) et l’UNRWA est le seul pilier qui leur reste dans leur vie plus ou moins intact.»
Conscient de l’augmentation des difficultés traversées par l’organisation onusienne depuis un an, le Luxembourg a fait passer sa contribution de 5 millions d’euros annuels à 7,2 millions en 2024. Et lors de sa visite d’État en Israël et en Palestine de mardi à jeudi, le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel, bien que comprenant la volonté d’Israël de ne plus revivre un 7 octobre a critiqué sa position vis-à-vis de l’UNRWA, de vive voix face à son homologue israélien et au président de la Knesset : «Je leur ai dit que, si dans trois mois, ils n’avaient pas d’alternative, ils seraient responsables de la mort de gens, pas à cause de bombes, mais à cause de la faim et du manque de soins, du manque de tout.» Un soutien politique, financier et moral «extrêmement important pour nous, affirme Ben Majekodunmi. On a le poids de plusieurs gouvernements sur nous et de plusieurs millions de personnes qui dépendent de nous, et (avec ce soutien), on a l’impression d’être portés».
Non loin de Ramallah, à Umsafa, un petit village perdu au milieu des oliviers et des petites collines, la vie est devenue bien plus dure pour ses habitants, depuis les attaques du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas sur le sol israélien. «Des soldats viennent dans mon jardin le jour, la nuit», confie Maral, une habitante palestinienne. Elle vit dans une maison isolée et se dit effrayée. «Je ne dors plus la nuit», murmure-t-elle. Cette femme de 50 ans, mère de huit enfants, est veuve depuis 8 ans, quand son époux, un policier, a été tué.»
«Depuis le 7 octobre, nous ne pouvons plus aller où nous voulons, reprend-elle. Les enfants sont attaqués, ils doivent faire des détours pour se rendre à l’école.» Le gouvernement israélien a en effet interdit aux Palestiniens d’emprunter certaines routes. Une mesure qui entrave la bonne marche de l’économie et qui complique le quotidien de tout un chacun. «Avant, je mettais un quart d’heure pour me rendre à mon travail, illustre un employé du ministère des Affaires étrangères palestinien, désormais, je mets 45 minutes.» Parfois, au péril de sa vie, explique-t-il encore, précisant que les Israéliens n’hésitent pas à faire usage de leurs armes.
Maral, quant à elle, compte sur la communauté internationale, pour que les choses s’arrangent et qu’enfin la paix advienne. En attendant, elle dresse un constat amer : «Jusqu’à présent, des personnes sont bien venues de l’étranger, mais rien n’a changé…»
Cette visite de travail, effectuée de mardi à jeudi, constituait le troisième déplacement de Xavier Bettel dans la région en moins d’un an. Le ministre des Affaires étrangères s’est entretenu, du côté israélien, avec son homologue, Israël Katz, et le président de la Knesset, Amir Ohana. Du côté palestinien, Xavier Bettel a eu une réunion de travail avec le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Mohammad Mustafa. Selon le ministère, l’objectif de ces échanges avec les deux parties étant de «parvenir à un cessez-le-feu à Gaza, ainsi qu‘à une solution politique durable au conflit au Moyen-Orient».
Le Luxembourg peut-il avoir un réel impact dans cette guerre, avons-nous demandé à Xavier Bettel. «Je ne suis pas venu pas avec une mission d’impact que je veux mesurer, nous a-t-il répondu. Je viens dans une mission de dialogue, de franchise et d’échange. Je ne suis ni le procureur, ni l’avocat de l’un et de l’autre. Je suis celui qui a la chance d’avoir une écoute à un très haut niveau et de pouvoir profiter de cette position pragmatique. Je pense être – et d’autres collègues européens me disent toujours que c’est important d’avoir des gens qui ne soient pas considérés comme le procureur de l’un contre l’avocat de l’autre – pour la population, et c’est ça ce qui est important. On est pour la population civile et pas pour un régime politique, on est ici pour éviter un désastre sinon on aura tous à répondre de notre responsabilité. Donc, on essaye d’éviter le pire et de rappeler aussi à leurs responsabilités les uns et les autres.»
I. S.