Organisatrice de voyages pédagogiques à Auschwitz depuis 2001, l’ASBL Témoins de la 2e génération est toujours aussi sollicitée près de 80 ans après la Shoah, selon son vice-président Marc Schoentgen.
Depuis 2001, l’ASBL Témoins de la 2e génération organise et anime des voyages de lycéens luxembourgeois dans les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz–Birkenau.
Malgré l’écart temporel grandissant entre la jeunesse et la Shoah ainsi que la perte de ses témoins survivants, l’association croule toujours autant sous les demandes de voyages, voire plus qu’avant, selon son vice-président et secrétaire, Marc Schoentgen. Malgré le décès de tous ces témoins, l’ASBL continue ses voyages pédagogiques et vient tout juste de terminer son 27e voyage annuel pédagogique, hier.
Quelles sont les questions qui reviennent le plus dans la bouche des jeunes ?
Marc Schoentgen : Ils s’interrogent sur le « pourquoi ». Pourquoi le monde n’a-t-il rien fait ? Pourquoi le monde n’a-t-il rien appris ? Après ce génocide, toutes ces horreurs, pourquoi avons-nous aujourd’hui encore des guerres, des génocides, du racisme et de l’antisémitisme ? Pourquoi les gens n’ont-ils pas résisté ? Ce sont de grandes questions fondamentales, autant pour les jeunes que les adultes.
Ils se demandent aussi ce que la Shoah signifie aujourd’hui pour ceux qui ont perdu des membres de leur famille. C’est le fait de soit se souvenir, soit oublier. Mais pour eux, c’est toujours la même conclusion : il ne faut pas oublier. S’ils rentrent chez eux en ayant conscience de l’importance de ne pas oublier, de commémorer les victimes et d’apprendre pour le futur, c’est une victoire.
Trouvez-vous que la mémoire s’est bien transmise auprès des jeunes générations ?
Nous accompagnons des jeunes de différents lycées du Luxembourg qui sont volontaires, donc il y a déjà un certain intérêt. C’est un peu plus facile avec ces groupes-là, mais il y a parfois aussi des jeunes qui ne savent pas grand-chose, qui ont entendu les mots Auschwitz et holocauste, mais qui ne savent pas précisément de quoi il s’agit. Mais ils sont ouverts et veulent apprendre.
Nous parlons à un petit nombre de jeunes au vu de toute la jeunesse du Grand-Duché, mais l’idée est d’en faire des témoins de la deuxième génération. Même si c’est comme cela qu’on appelle les enfants des survivants, nous utilisons de notre côté cette expression pour dire que tous ceux qui étaient avec nous à Auschwitz ou à Birkenau deviennent également des témoins de cette histoire, de cette mémoire et ils vont parler chez eux, avec leur famille, leurs amis, dans leur classe. C’est un travail de sensibilisation et on veut laisser une petite semence et voir ce que cela donne.
Nous avons un programme supplémentaire où l’on invite des jeunes qui ont fait le voyage à participer de nouveau l’année suivante en tant qu’animateurs d’un atelier sur place que nous avons appelé « Les jeunes pour les jeunes ». C’est à leur tour de transmettre des choses et cela fonctionne bien. Nous avons toujours un petit groupe de jeunes qui veulent revenir et travailler avec nous. C’est l’idée de former des passeurs de mémoire avec l’espoir qu’eux deviennent la génération future dans l’organisation, qu’ils s’engagent dans une association, dans le travail de mémoire ou dans une autre bonne cause de la société civile.
On a pensé à arrêter
Craignez-vous pour la transmission de la mémoire avec l’amenuisement du nombre de survivants ?
Non, la mémoire est transmise autrement. Il est vrai qu’avec une transmission directe, c’est différent, car plus émotionnel, plus personnel, mais cela se fait quand même sans les témoins et nous n’avons pas le choix ou bien, on arrête. On a pensé à arrêter lorsque notre dernier témoin nous a quittés en 2020. On s’est alors demandé : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant, on arrête?“, car on s’était toujours basé sur les témoignages directs de survivants.
Mais on s’est dit qu’il fallait continuer et le nombre de demandes nous donne raison puisque l’on pourrait faire quatre voyages par an au lieu d’un seul.
Même plus de 80 ans après, il y a toujours autant d’intérêt selon vous ?
Je dirais même que l’intérêt est grandissant. Je suis toujours surpris. Avec le temps, je pensais que la demande allait baisser, mais nous n’avons jamais constaté une baisse des demandes. Ce qui change, ce sont les jeunes. La distance entre le passé et la Seconde Guerre mondiale devient de plus en plus grande, les enseignants deviennent plus jeunes, donc ils pensent autrement, ils ont d’autres besoins, d’autres connaissances.
Il y a d’autres jeunes, d’autres générations, mais cela ne veut pas dire qu’il faut s’arrêter maintenant. Par contre, il faut repenser et réorganiser un peu notre pédagogie.
Faire un lien entre le passé et le présent
Depuis le début de l’ASBL, il y a 23 ans, votre manière de raconter cette mémoire a donc changé ?
Le défi est de savoir comment sensibiliser au-delà de la mémoire de la Shoah parce que l’on parle d’antisémitisme ou de racisme et cela concerne directement beaucoup de jeunes d’aujourd’hui. Il y a des jeunes d’origine africaine qui se rendent compte que les personnes noires ont été persécutées par les nazis pour des raisons racistes. Il est aussi question de religion, de culture et d’identité que les nazis ont essayé d’exterminer par intolérance.
Et ce sont des problèmes que l’on retrouve dans notre société, donc c’est toujours d’actualité. La mémoire est importante, mais il faut faire un lien entre le passé et le présent. Ce ne sont pas seulement des questions de mémoire ou du passé, ce sont aussi des questions d’actualité.
Dans la sphère publique, trouvez-vous que la mémoire est bien entretenue ?
Au Luxembourg, oui, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est bien présente. Nous avons des discussions en public, des discussions en lien avec la politique mémorielle et c’est même quelque chose qui est peut-être extraordinaire au Luxembourg, car il y a beaucoup de jours de commémoration.
Mais cela ne veut pas dire que l’on s’arrête à cela et que tout fonctionne automatiquement. Au vu des profonds changements dans la société luxembourgeoise, qui est une société de migration, il y a des gens qui viennent de tous les pays du monde et donc il faut garantir que la mémoire spécifique au Luxembourg soit également transmise à ceux qui viennent de l’extérieur. C’est vraiment un défi, je trouve, mais il ne faut pas oublier que ceux qui viennent au Luxembourg amènent aussi leur mémoire, leur guerre, leur génocide.